La zone grise: Consommer de la porno, est-ce éthique?

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Avertissement de contenu: Violence à caractère sexuel, pornographie juvénile, exploitation sexuelle

Dans son autobiographie Ordeal publiée en 1980, Linda Lovelace, l’une des premières stars de la porno, raconte l’enfer qu’elle a vécu dans les années précédant le tournage du film Deep Throat: devenue esclave sexuelle, prise entre les griffes d’un mari violent qui la force à se prostituer, Lovelace révèle, qu’en plus de n’avoir reçu aucun cachet pour sa performance, le film qui l’a rendu célèbre met en scène son viol. De façon similaire, l’actrice Lana Rhoades, qui a été l’une des pornstars les plus en vogue sur Pornhub dans les dernières années, avoue que certaines scènes qu’elle a joué ont été si humiliantes et si extrêmes qu’elle en est venue à contempler le suicide.

Le verdict est trop souvent le même: en plus des violences vécues, le salaire laisse à désirer. Tout comme Rhoades, Mia Khalifa, qui a connu un succès fulgurant durant ses trois mois dans l’industrie pornographie, avance n’avoir été payée que 12 000$ malgré le fait que ses vidéos aient été visionnées plus de 700 millions de fois, et ce, uniquement sur Pornhub.

Contenu gratuit = contenu volé

Si de nombreuses actrices de l’industrie soulèvent ne pas être payées adéquatement, ce n’est certainement pas parce que la demande est faible. Chaque jour, des millions de personnes consomment des vidéos à caractère pornographique. Alors, comment peut-on expliquer que les personnes mises en scène dans celles-ci ne soient presque pas payées?

Plusieurs personnes l’ignorent, mais une grande partie des vidéos offertes sur les sites pornographiques sont gratuites parce qu’elles ont été piratées, volées ou extraites d’un film plus long qu’il est possible de trouver sur un site tierce. La plupart des « tubes », tels que Pornhub, Brazzers et YouPorn, sont gratuits parce qu’ils incluent des publicités qui mènent vers d’autres sites. Pornhub, par exemple, est connu pour publier des copies non licencié provenant de sites payants.

« Pornhub ne serait que la pointe de l’iceberg »

Cela peut sembler anodin, mais ce partage illégitime de contenu payant sur des plateformes gratuites fait en sorte que le travail des acteurs/actrices et des producteurs/productrices n’est pas reconnu et, par le fait même, pas payé. Et Dieu sait qu’une fois partagée, une vidéo est difficilement contrôlable; malgré les nombreuses demandes des boîtes de production de retirer leurs vidéos de sites illégitimes, celles-ci se retrouvent malencontreusement sur des plateformes nouvellement créées.

Scandale après scandale après scandale

Dans une enquête publié dans le New York Times en 2020, il a été révélé que le site Pornhub est infesté de vidéos de viol et qu’il fait du profit, entre autres, sur des vidéos d’agressions sexuelles sur des enfants; on y aurait également retrouvé des vidéos où des femmes sont asphyxiées avec des sacs en plastique sur la tête et des vidéos où des femmes sont filmées à leur insu par la caméra de leur ordinateur portable. Pour plusieurs, Pornhub ne serait que la pointe de l’iceberg, d’autres sites publiant du contenu encore plus vil. En Californie, des poursuites ont d’ailleurs été enclenché à ce sujet.

Cette enquête, l’un des plus gros scandales de l’histoire de la pornographie, a résonné jusqu’au Québec. En effet, Pornhub appartient à la compagnie MindGeek qui est établit à Montréal. Dans l’industrie pornographique, MindGeek est le principal leader au niveau mondial, possédant une dizaine de sites de divertissement pour adultes ultra populaires. Juridiquement, comme la plupart des compagnies œuvrant dans ce domaine, MindGeek est domicilié au Luxembourg, pays qui permet à plusieurs d’échapper à l’impôt. L’ancien propriétaire de la compagnie a notamment été arrêté en 2012 pour évasion fiscale.

Encore plus louche, quelques mois après la publication de l’enquête du New York Times, la maison du cofondateur et PDG de MindGeek, Feras Antoon, a été détruite dans un incendie que la police estime être volontaire. Y avait-il quelque chose à cacher entre les murs de cette résidence de 19 millions de dollars? L’histoire ne le dit pas, mais chose certaine, cela n’augure rien de bon.

Pour un travail du sexe sécuritaire et mieux rémunéré

Sachant tout cela, j’ai tendance à penser que consommer de la pornographie ne peut pas être un geste éthique si cela implique d’exploiter financièrement les personnes impliquées dans la production, d’encourager la violence sous toutes ses formes et d’enrichir des hommes aux valeurs plus que douteuses. La majorité des plateformes porno ne vérifiant pas l’âge de ses utilisateurs/utilisatrices, ni l’identité des personnes qui partagent ses vidéos, il est plus que clair qu’il reste du travail à faire afin de s’assurer que la porno  respecte la dignité et les droits fondamentaux de tous et de toutes.

« Une pornographie éthique est une pornographie pour laquelle il faut être prêt à payer un petit montant. »

Toutefois, il ne faut pas non plus penser que les exemples mentionnés plus haut représentent l’ensemble de l’industrie. Il existe des boîtes de production et des plateformes qui sont plus éthiques, dans la mesure où elles s’assureraient du bien-être des actrices/acteurs et leur offrent de bonnes conditions de travail. Or, il semble apparent qu’une pornographie éthique est une pornographie pour laquelle il faut être prêt à payer un petit montant. N’oublions pas que les personnes mises en scène dans ces vidéos sont, elles aussi, humaines. Quelques minutes de satisfaction ne devraient pas avoir à mettre en jeu la sécurité physique, émotionnelle et psychologique de qui que ce soit.

Quelques lectures/visionnements pour en savoir plus:

BARTON, Bernadette, The Pornification of America: How Raunch Culture Is Ruining Our Society, New York, New York University Press, 2021, 226 p.

BAUER, Jill et Ronna GRADUS (Réalisatrices), Hot Girls Wanted, 2015, 84 min.

LOVELACE, Linda, Ordeal, New York, Citadel Press, 1980, 253 p.

Ovidie (Réalisatrice), Pornocratie: les nouvelles multinationales du sexe, 2017, 75 min.

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