La semaine dernière, lors d’une visite chez ma belle-famille, une incommensurable douleur au bas-ventre pris d’assaut mon être entier. S’en suivirent des sueurs froides, des haut-le-cœur, des tremblements involontaires qui me forcèrent à m’avouer vaincue et à m’exiler à la chambre à coucher. Bien que ma souffrance était réelle et apparente, je ressentis le besoin de me justifier, de qualifier mes maux; j’expliqua que cela était fréquent, qu’il ne fallait pas s’en inquiéter. Malgré tout cela, je ne pus que me sentir coupable de devoir me mettre en retrait le temps que cette crise passe.
Ne vous inquiétez pas, ces symptômes ne découlent pas d’une maladie contagieuse, mais plutôt d’une condition on ne peut plus ordinaire: les menstruations et les nombreuses surprises qui en découlent. Bien que ce ne soient pas toutes les femmes qui ont des règles douloureuses, il reste que ce phénomène cyclique est une réalité communément acceptée, bien que très peu discutée. Or, de ce que j’en sais, s’il existe un certain malaise autour des menstruations, celui qui entoure la souffrance féminine est d’autant plus important.
Les femmes et la douleur
Lara Parker, écrivaine et éditrice chez BuzzFeed, mentionne dans son livre Vagina Problems que s’il y a une chose qu’elle a appris au sujet des cycles menstruels, c’est qu’il ne faut pas en parler et surtout pas devant les hommes. Souffrant de diverses maladies chroniques, dont l’endométriose et le vaginisme, elle avance qu’elle ne peut s’empêcher de se sentir coupable d’avoir mal. Si elle est accompagnée d’une autre personne, Parker dit que, même si elle sait qu’elle n’est pas responsable de sa douleur, elle ressent de la honte à l’idée que celle-ci ait dû mettre sa vie sur pause pour lui venir en aide.
Cette honte qui l’habite est, à mon avis, le reflet du manque d’empathie et de connaissances du domaine médical: tandis que certains médecins ne prennent pas au sérieux les symptômes décrits par leurs patientes, d’autres ne sont tout simplement pas assez outillés pour pouvoir leur venir en aide.
La méconnaissance du corps des femmes
Maya Dusenbery, écrivaine et journaliste américaine, explique dans Doing Harm que le docteur moyen n’en sait pas autant sur le corps des femmes que sur le corps des hommes. Cela est problématique, car il devient bien ardu de comprendre les problèmes de santé qui peuvent affliger ce corps qui ne fonctionne pas de la même façon au niveau hormonal. Elle souligne que la recherche biomédicale ne s’attarde que très peu à l’étude des sujets féminins; cette réalité a aussi été observée en 2018 dans un texte de Marianne Desautels-Marissal qui affirme que « beaucoup de scientifiques n’utilisent que des mâles dans leurs études en laboratoire ».
Dusenbery en ajoute en disant qu’en plus de la méconnaissance médicale du corps féminin, il existe de nombreux préjugés qui meurtrissent la relation entre les femmes et la médecine. Par exemple, de nombreuses conditions qui ne touchent que les femmes (et/ou les personnes ayant un utérus) n’ont presque pas été étudiées, malgré le fait qu’elles touchent des millions de personnes à travers le monde. Pourquoi? Parce que, selon Dusenbery, les maladies typiquement féminines sont jugées moins importantes que celles qui touchent les hommes. Il y aussi le stéréotype qui veut que les femmes seraient hystériques et exagèreraient continuellement la gravité de leurs symptômes. Inutile de mentionner que cette vision complètement inexacte de la réalité vécue par de nombreuses femmes n’a pas sa place dans le domaine médical.
Décolonisons la médecine
Considérant que la grande majorité des personnes travaillant dans le milieu de la santé sont des femmes, qu’est-ce qui peut expliquer la façon dont les femmes y sont trop souvent traitées? J’ai deux hypothèses: la misogynie internalisée et la vision occidentalocentrique de la santé. Pour ce qui est de la première, il me semble que notre société baigne dans une culture où les femmes sont reléguées au second plan; même si l’on est féministe, il est possible d’avoir des préjugés par rapport aux femmes, car nous avons été élevéE dans une culture qui ne priorise pas toujours le bien-être féminin.
Pour ce qui est de l’occidentalocentrisme, je pense que la médecine occidentale fait fausse route en rejetant presque systématiquement les traitements alternatifs à ceux proposés par la pharmaceutique. Plusieurs penseurs et penseuses autochtones, notamment Dr Samir Shaheen-Hussain, se penchent sur la question du colonialisme médical. D’autres, dont Béatriz Préciado, vont plus loin encore et demandent à ce que l’on décolonise l’utérus.
Je ne dis pas qu’il faille refuser tout traitement pharmaceutique, je dis qu’il faut rester ouvertE à des options différentes qui pourraient être bénéfiques aux femmes. Si la médecine désire être un « safe space » pour les femmes, il faut qu’elle soit prête à les écouter et à leur offrir des traitements, peu importe leur nature, qui répondent à leurs besoins réels. Après tout, nombreuses sont les femmes qui se tournent déjà vers la médecine alternative, n’ayant pas trouvé de solutions qui leur conviennent dans ce système phallocentrique qu’est notre système actuel.
Lectures recommandées
DUSENBERY, Maya, Doing Harm: The Truth About How Bad Medicine and Lazy Science Leave Women Dismissed, Misdiagnosed, and Sick, San Francisco, HarperOne, 2018, 400 p.
JACKSON, Gabrielle, Pain and Prejudice: How the Medical System Ignores Women – and What We Can Do About It, Vancouver, Greystone Books, 2019, 368 p.
PARKER, Lara, Vagina Problems: Endometriosis, Painful Sex, and Other Taboo Topics, New York, St. Martin’s Griffin, 2020, 240 p.
Ça me fait également beaucoup penser à la contraception hormonale dont ses effets peuvent être très néfastes, je trouve qu’on en parle pas assez non plus. D’une certaine manière, la responsabilité de la contraception, à part lors d’usage du condom, dépend énormément de la femme. J’ai entendu dire que d’autres contraceptions touchant l’homme pourraient être développés mais demeurent très méconnus.
J’ai personnellement eu de très mauvaises expériences avec les contraceptions hormonales, j’ai eu beaucoup de migraines et j’ai également été plus émotive, ça a réellement joué avec mon humeur. J’ai également des gens dans mon entourage où que la contraception hormonale a joué un rôle dans le développement de caillots de sang, une grave situation médicale.
En tout cas, Laura je trouve tes articles très intéressants. Continue comme ça!
Merci Catherine de ton partage et pour tes mots si gentils! Effectivement, il reste énormément de travail d’éducation et de conscientisation par rapport à la santé hormonale des femmes, j’en connais énormément qui ont souffert en lien avec des médicaments trop rapidement prescrits. En espérant que les choses changent un jour 🙂