La zone grise: Le self-care, une pratique radicale et révolutionnaire

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Comme plusieurs étudiants et étudiantes en période de fin de session universitaire, je suis parfois tellement happée par les examens, travaux et lectures qu’il me reste à compléter que j’en viens à oublier de faire quelque chose de pourtant si essentiel: prendre soin de moi. Cette pratique, soit celle du self-care, est souvent mise de côté malgré sa primordialité.

Si, avec le temps, j’ai compris qu’il vaut mieux être bien avec soi-même sur tous les plans (physique, mental, social, spirituel) que d’avoir une note parfaite à un examen, c’est parce que j’ai pu expérimenter moi-même le contraire du bien-être. Or, tandis que le terme self-care est parfois réduit à un mot-clic sur Instagram où l’on peut apercevoir un mélange hétéroclite de pose de yogas, de produits de beauté et de citations inspirantes, il est important de connaître les origines de cette pratique pour être en mesure de réellement le comprendre.

Le self-care et les féministes noires

Dans sa collection d’essais écrits alors qu’elle combattait un cancer assez agressif, la poète et activiste féministe noire Audre Lorde raconte, toujours avec les mots justes, que « prendre soin de soi-même ne relève pas de l’indulgence, mais de la préservation. C’est un acte politique.» Aujourd’hui considérée comme la mère du féminisme intersectionnel, Lorde soulignait, quelques années avant son décès, la nécessité de prendre en main son bien-être et sa santé dans cette société raciste et patriarcale qui l’avait sans cesse opprimée. Pour la poète, le self-care n’était pas un acte de caprice ou encore une luxure; c’était une façon de survivre à ce monde hostile.

La professeure Jennifer Nelson, spécialisée dans l’histoire du féminisme américain et de la santé des femmes, explique dans More Than Medicine : A History of the Feminist Women’s Health Movement que les mouvances féministes, surtout celles des femmes de couleur, sont derrière la popularisation du self-care. Elle mentionne que les féministes ont rapidement élargi leurs revendications au-delà de l’avortement légal, mettant l’accent sur le fait que le contexte médical dans lequel les femmes avaient droit à des soins était fondamental à leur santé et à leur statut social. Elle poursuit en y soulignant que les activistes féministes de couleur sont celles qui ont mis de la pression sur les mouvements féministes mainstream pour faire de la santé des femmes une priorité.

Prendre soin de soi, une forme d’activisme

Ensuite, il est important de mentionner que le self-care a longtemps été perçu par le milieu médical comment étant une façon de se soigner soi-même et d’adopter de saines habitudes de vie. Toutefois, cette pratique était initialement associée aux personnes âgées ou ayant des troubles de santé mentale. À la même époque, les activistes noirEs, issuEs des mouvances féministes ou du Black Panther Party, commencèrent à réclamer la prise en charge de leur propre santé afin de corriger les échecs continuels du système médical qui ne savait pas répondre adéquatement à leurs besoins.

Le self-care devint une façon de revendiquer l’autonomie contre un système de santé technocratique, raciste et sexiste.

Comme le précise Harris, les activistes, constatant que la pauvreté était souvent rattachée à une mauvaise santé, argumentèrent que pour démanteler les hiérarchies fondées sur la race, le sexe, la classe et l’orientation sexuelle, il fallait mener une vie saine. Après tout, comment serait-il possible de prendre soin des autres si l’on n’est pas en mesure de prendre soin de soi? Le self-care devint alors, selon l’historienne Natalia Mehlman Petrzela, une façon de revendiquer l’autonomie corporelle comme un acte politique contre un système de santé technocratique, raciste et sexiste.

Militer pour des études ancrées dans le bien-être

Comme je pense qu’il est important d’honorer les origines des pratiques qui meublent notre quotidien, je crois qu’il est essentiel de respecter l’essence même du self-care. Quand nous prenons soin de notre personne, qu’il s’agisse de se préparer un repas sain, de se mettre de la crème hydratante ou de faire respecter nos limites personnelles, il faut se rappeler que si aujourd’hui cette pratique est normalisée et acceptée, c’est parce que d’autres se sont battuEs pour qu’elle le soit. À une certaine époque, le self-care ne bénéficiait pas de cette aura dorée qu’il porte au 21ième siècle; il était plutôt associé à une rébellion contre l’establishment. On était bien loin de l’image contemporaine de la matante blanche qui fait du yoga le dimanche matin pour se détendre avant de recommencer sa semaine de travail.

Ainsi, si vous prenez du temps pour prendre soin de vous en cette fin de session universitaire, ayez une petite pensée pour ces braves êtres qui ont démocratiser cette pratique. Après, il est possible de voir ces moments de répit d’étude comme une façon de revendiquer pour obtenir un système éducatif où la santé holistique des étudiantES serait plus significative que leur GPA.

Articles et ouvrages cités/consultés

Harris, A. (2017). A History of Self-Care: From its radical roots to its yuppie-driven middle age to its election-inspired resurgence. Slate Magazine. http://www.slate.com/articles/arts/culturebox/2017/04/the_history_of_self_care.html

Houseworth, L. E. (2021, January 14). The Radical History of Self-Care. Teen Vogue. https://www.teenvogue.com/story/the-radical-history-of-self-care

Lorde, A. (2017). Burst of light – and other essays. Dover Publications Inc.

Nelson, J. (2015). More Than Medicine : A History of the Feminist Women’s Health Movement. NYU Press.

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