Avez-vous déjà eu le courage de vous atteler à lire un projet de loi? Moi oui. Je vous confirme que la tâche est fastidieuse. Il faut ce qu’il faut, semble-t-il, pour son lectorat.
Je m’emballe, je n’en suis qu’à ma seconde chronique et je me fabule déjà un lectorat. Quoi qu’il en soit, la lecture du projet de loi 20 (PL20) m’a considérablement éclairée quant aux enjeux qu’il soulève.
Les changements impliqués
D’abord, le changement le plus notable proposé par le PL20 consiste en l’imposition d’un quota de patients aux médecins omnipraticiens. En termes plus clairs, votre médecin aura l’obligation de suivre un certain nombre de patients en fonction de son nombre d’années d’expérience.
Un critère de fidélisation pourrait aussi être mis en place. Celui-ci exige qu’un médecin soit la ressource médicale de ses patients pour 80% des cas de première consultation. Un patient ne se référant pas d’abord à son médecin de famille provoquera donc une diminution du taux de fidélité de ce dernier.
Finalement, une pénalité allant jusqu’à 30% pourra être imposée sur la rémunération d’un médecin ne satisfaisant pas ces exigences.
La pratique médicale en 2015
L’omnipraticien est dans l’obligation d’exercer des activités médicales particulières (AMP), dont les gardes à l’hôpital, le travail à l’urgence, la médecine obstétrique, et bien d’autres, pour un équivalent de 12 heures par semaine. Vous l’aurez compris, l’omnipraticien n’est donc pas en mesure de rencontrer des patients ou d’en assurer le suivi lorsqu’il doit remplir ces tâches connexes.
S’attaquer aux médecins de famille me semble être une solution facile, mais surtout inefficace, à un problème complexe.
Certains médecins choisiront, de surcroît, d’établir leur pratique dans un groupe de médecine familiale (GMF) ou dans une unité de médecine familiale (UMF). D’autres tâches viennent s’ajouter à la liste de ces médecins, notamment le travail dans une clinique sans rendez-vous les soirs et les fins de semaine, ainsi que des activités d’enseignement.
Le médecin, un travailleur autonome à l’autonomie brimée
Si les médecins sont en effet payés par la RAMQ, ils demeurent des travailleurs autonomes. L’omnipraticien n’a donc pas droit à des congés ou à des vacances payées.
Ensuite, s’il désire recevoir des prestations du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) ou du Régime des rentes du Québec (RRQ), il est dans l’obligation de payer à la fois les cotisations de « l’employé » et de « l’employeur ».
L’omnipraticien n’a cependant pas droit à la majorité des avantages qui viennent avec le titre de travailleur autonome. Par exemple, dû aux plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM), il n’a pas le loisir de choisir sans contrainte ni son lieu de travail ni sa pratique en elle-même.
En effet, chaque nouveau médecin doit faire une demande de PREM qui déterminera le lieu où il devra effectuer plus de 55% de sa pratique ainsi que ses AMP obligatoires. Le nombre de PREM disponibles annuellement est déterminé en fonction des besoins de chaque région.
Les conséquences à court terme
Ce n’est un secret pour personne que l’imposition de quotas entraînera certainement une diminution du temps accordé à chaque patient par le médecin.
Les patients, lors de leur rendez-vous annuel, arrivent avec une liste de problèmes. Si le médecin n’a pas le temps de tous les régler, le patient se tournera probablement vers l’urgence. Ce faisant, il diminuera le taux de fidélité de son médecin.
La technologie a aussi eu un effet sur la pratique de la médecine. L’omnipraticien doit-il non seulement diagnostiquer ou référer au bon spécialiste le patient, mais il doit aussi bien souvent le convaincre qu’il n’est pas atteint du cancer qu’il s’est découvert en farfouillant sur un sombre forum de Doctissimo.
Les patients vulnérables pourraient, au final, devenir les grands perdants du PL20. En effet, les médecins risquent désormais de choisir leurs patients en fonction de leur vulnérabilité. D’évidence, un patient atteint d’une maladie chronique et de troubles mentaux constitue une charge plus lourde pour le médecin que le jeune trentenaire en bonne santé.
Pire encore, le PL20 pourrait diminuer l’accessibilité aux soins puisque des médecins traitants, devant autant de nouvelles contraintes, risquent de se tourner vers la pratique privée. Une grande majorité de la population, dont les étudiants, n’a malheureusement pas les moyens de consulter un médecin dans une clinique privée.
Des solutions alternatives
D’autres solutions existent. Engager plus d’effectifs hospitaliers est l’une d’elles. Ceux-ci pourraient alors prendre en charge des tâches pour lesquelles les omnipraticiens sont ridiculement surqualifiés comme la prise de signes vitaux ou la pesée de patients.
Le PL20 semble dangereusement oublier de tenir compte du fait que le suivi d’un patient ne se limite pas à la rencontre avec celui-ci. L’omnipraticien doit aussi assurer le suivi d’examens, communiquer avec le médecin spécialiste s’il y a lieu et même contacter le patient lui-même lorsque ses résultats sont anormaux.
S’attaquer aux médecins de famille me semble être une solution facile, mais surtout inefficace, à un problème complexe.
En trouvant des solutions alternatives, peut-être parviendrons-nous à vivre dans une société meilleure et à l’image de ses citoyens. En attendant, levons-nous pour défendre tous les omnipraticiens, en Mauricie mais aussi à travers l’ensemble du Québec, qui ont choisi cette pratique parce qu’ils ont justement à cœur la santé et le bien-être des citoyens.