
Même si le premier tome de la trilogie, aujourd’hui bien connue, est paru au printemps 2015, il y a bientôt trois ans, le roman La bête à sa mère est encore bien présent dans nos librairies et nos bibliothèques. La trilogie se maintient en permanence dans le palmarès des libraires, semaine après semaine, mois après mois, marquant chaque jour un peu plus l’imaginaire de lecteur.ice.s toujours plus nombreux.ses.
Il y a longtemps que je vois trôner les livres de David Goudreault sur un des présentoirs d’Archambault, bien en évidence lorsqu’on entre dans la librairie. Trois piles: noires, bleues et jaunes. Trois romans aussi percutants les uns que les autres. Ils nous accrochent, brassent nos émotions, nous font ressentir de la peur et du dégoût parfois, mais toujours une profonde admiration pour le talent de l’auteur.
Ils nous accrochent, nous brassent les émotions, nous font ressentir de la peur et du dégoût parfois, mais toujours une profonde admiration pour le talent de l’auteur.
Oui, David Goudreault a un talent éclatant pour la manipulation des mots. Il joue avec eux et les maîtrise si bien qu’il peut arriver à nous faire ressentir n’importe quoi. Il réussit à nous faire continuer la lecture d’un roman où l’antihéros est absolument détestable dans sa manière de vivre et de traiter les gens autour de lui. L’auteur nous transporte dans un univers sur lequel on aurait préféré fermer les yeux.
Un plongeon vers la bêtise humaine
Le livre se présente d’abord comme une preuve formelle à déposer devant jury. C’est l’histoire d’un homme qui tente de justifier son geste en racontant toute son histoire, du début à la fin. En sachant très bien que son récit ne pourra peut-être pas tout expliquer.
Alors tout commence avec ce jeune narrateur, un garçon dont on ne connaît ni l’âge ni l’identité, qui raconte son histoire depuis sa tendre enfance: «Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatres et les égards réservés aux grands malades» (p.12). Après plusieurs tentatives de suicide, la mère sera prise en charge et éloignée de son enfant, puisque jugée inapte à l’élever convenablement. L’enfant sera dès lors trimballé de famille d’accueil en famille d’accueil, en passant par plusieurs centres jeunesse, avant de finir, vers l’âge de 18 ans, dans un petit appartement payé par l’aide sociale, tout près du centre jeunesse s’occupant de lui à ce moment-là.
À travers chacune de ses expériences de famille, notre narrateur en ressortira avec toujours plus d’assurance en lui-même, d’hypocrisie, de méchanceté envers les autres et la société, et d’un goût de plus en plus accru pour la drogue. Il flambera tout son argent dans des cachets d’amphétamine, l’obligeant bien rapidement à quitter son appartement sous les menaces du propriétaire.
Ce sera alors le début de sa fuite afin de retrouver sa mère, un rêve qu’il chérit depuis qu’ils ont été séparés. On lui apprendra qu’elle vit maintenant en Estrie. Après plusieurs jours à tenter de se faire un peu d’argent de poche (le fruit de nombreux vols), il partira en autobus vers sa mère. Vers le début de sa nouvelle vie.
Une fois rendu à Sherbrooke, il se fera passer pour quelqu’un d’autre, encore une fois, afin d’avoir un poste dans un centre de la Société protectrice des animaux (SPA). Se convaincant qu’il est un bon garçon, il mentira à tout le monde afin de faire bonne figure et d’amasser un peu d’argent pour se payer une chambre et beaucoup de drogue, attendant patiemment le bon moment pour rencontrer sa mère.
L’auteur nous transporte dans un univers sur lequel on aurait préféré fermer les yeux.
Même s’il est un antihéros facile à détester simplement par sa façon de voir les choses, ce jeune garçon est malheureusement une victime du système de protection de la jeunesse. Il fut d’abord malchanceux d’avoir une mère aux prises avec de graves problèmes de santé, voulant sans cesse attenter à ses jours, mais plus encore, il fut balancé dans de nombreuses familles d’accueil, où l’amour fraternel n’était pas toujours présent.
Étant travailleur social de formation, David Goudreault a sûrement vu passer beaucoup de cas malheureux comme celui-ci. Son personnage n’est pas le seul à avoir été obligé de voler, de mentir et de tuer pour arriver à vivre un peu de bonheur. Enfin, ce qui semble être le bonheur pour ces gens qui n’ont rien connu d’autre.
Pourtant, cet univers reste inconnu pour la plupart d’entre nous qui préférons fermer les yeux sur la détresse humaine, cachée sous une couche de linge sale, sous un visage quelquefois bizarre et ravagé par la drogue, sous des yeux sombres qui maudissent la société. Nous préférons nous terrer dans le confort de notre maison, dans notre surplus d’argent et dans notre bonheur futile.
Se convaincant qu’il est un bon garçon, il mentira à tout le monde afin de faire bonne figure et d’amasser un peu d’argent pour se payer une chambre et beaucoup de drogue.
Comme le disait le prologue du roman, cette histoire ne justifie pas les moyens utilisés par le narrateur pour arriver à ses fins, mais elle explique en partie la réaction qu’il a pu avoir face à certaines situations. On ne connaît jamais la véritable histoire de quelqu’un avant de l’avoir lue ou entendue.
Ce premier roman de David Goudreault, paru aux Éditions Stanké au printemps 2015, aura valu à l’auteur le Grand Prix littéraire Archambault et le Prix des nouvelles voix de la littérature du Salon du livre de Trois-Rivières, en plus d’être devenu un succès de librairie en quelques mois à peine.
