L’économie du pays | Bourse et économie : miroir déformant ou thermomètre fidèle ?

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L'économie du pays
L’économie du pays est une chronique bimensuelle. Illustration : Camille Limoges.

La bourse fascine autant qu’elle effraie. Pour certains, elle est le cœur battant de l’économie ; pour d’autres, un casino géant déconnecté des réalités. Pourtant, une chose est sûre : on scrute ses moindres soubresauts comme on lit les signes avant-coureurs d’un changement de temps. Hausse des indices ? Confiance retrouvée. Krach soudain ? Crise à l’horizon. Mais à quoi correspond réellement ce marché financier ? Pourquoi accorde-t-on autant d’importance à ses fluctuations, surtout dans un contexte aussi tendu que celui de la guerre commerciale menée par les États-Unis ?

Comment fonctionne la bourse ?

La bourse, c’est avant tout un marché. Un lieu (souvent virtuel aujourd’hui) où s’échangent des titres financiers : actions, obligations, produits dérivés… Les entreprises y lèvent des fonds en vendant une part de leur capital sous forme d’actions. Les investisseurs, eux, y cherchent du rendement. C’est un mécanisme de financement, mais aussi un baromètre des attentes : la valeur d’une action reflète ce que les investisseurs pensent de l’avenir d’une entreprise.

la valeur d’une action reflète ce que les investisseurs pensent de l’avenir d’une entreprise

L’offre et la demande règnent en maîtres. Si les perspectives sont bonnes, la demande augmente, les prix montent. En cas d’inquiétude, les investisseurs vendent, les cours baissent. Ce mouvement permanent donne naissance à des indices boursiers – comme le Dow Jones, le S&P 500 ou le CAC 40 – qui reflètent la santé globale du marché.

Néanmoins, la bourse ne mesure pas l’économie réelle. Elle mesure surtout les anticipations, souvent surjouées, mais parfois irrationnelles.

La bourse, reflet fidèle de l’économie ?

La question divise les économistes. D’un côté, les marchés financiers réagissent à la conjoncture : croissance, chômage, inflation, politique monétaire. De l’autre, ils amplifient souvent les tendances ou les exagèrent. Une entreprise peut annoncer de bons résultats mais voir son cours baisser si les investisseurs espéraient encore mieux.

La bourse est donc un thermomètre capricieux. Elle donne une indication, mais pas un diagnostic. Pourtant dans les faits, les gouvernements et les médias continuent de l’utiliser comme une jauge de confiance. Quand le Dow Jones s’envole, c’est perçu comme un signal de bonne santé économique. Quand il chute, les alarmes retentissent.

C’est dans ce contexte que les politiques économiques sont souvent jugées : non pas sur leurs effets réels à long terme, mais sur la réaction immédiate des marchés.

« La bourse est un thermomètre capricieux ». Crédits : George Morina.

Trump, Twitter et le trading

Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump a fait de la bourse l’un des piliers de son argumentaire économique. À coup de tweets, il célèbre chaque nouveau « record » du Dow Jones comme une preuve de sa bonne gestion. Pour lui, des marchés haussiers sont synonymes de victoire.

Cette stratégie a cependant ses limites. En menant une guerre commerciale agressive contre plusieurs pays – à coups de droits de douane et de menaces répétées – Trump a aussi introduit une forte dose d’incertitude sur les marchés. À chaque annonce de nouvelles sanctions ou de rupture des négociations, les bourses vacillent. À chaque signe d’apaisement, elles repartent à la hausse. Le président américain joue donc un jeu dangereux : il utilise la bourse comme vitrine, tout en provoquant des secousses qui peuvent la fragiliser.

Les investisseurs, eux, sont tiraillés: d’un côté, les baisses d’impôts et la dérégulation ont boosté les profits des entreprises américaines. De l’autre, la guerre commerciale menace les chaînes d’approvisionnement mondiales, pèse sur les exportations et accentue la nervosité.

Une dépendance qui interroge

Pourquoi alors accorde-t-on autant de poids à la bourse, alors qu’elle ne reflète qu’une partie de l’économie, et souvent la plus privilégiée ? Parce que dans un monde où l’information circule en temps réel, les indices boursiers offrent un signal clair, chiffré, immédiat. Ils sont faciles à comprendre, faciles à diffuser. Mais cette facilité peut aussi induire en erreur.

Une bourse en pleine forme peut coexister avec un marché du travail fragile, des inégalités croissantes, ou une dette publique inquiétante. À l’inverse, une correction boursière ne signifie pas forcément qu’une récession est en cours.

Dans le cas de la guerre commerciale de Trump, la bourse est à la fois acteur et victime. Les multinationales cotées sont directement exposées aux tensions douanières. Mais leurs valorisations peuvent aussi influencer les choix politiques : un plongeon du NASCAQ peut pousser l’administration américaine à faire des concessions, par peur d’un retournement économique.

Le risque de déconnexion

La grande question aujourd’hui est de savoir si les marchés boursiers ne sont pas trop déconnectés des fondamentaux. Portés par des taux d’intérêt très bas et des politiques monétaires accommodantes, ils ont connu une longue phase de croissance. Mais cette hausse est-elle vraiment soutenable ? Ou bien repose-t-elle sur une bulle d’optimisme artificiellement gonflée ?

La guerre commerciale, en exposant les fragilités du commerce mondial, agit comme un test de réalité. Si les bourses continuent à grimper malgré les tensions, cela pourrait signifier une sur-confiance. Si elles corrigent brutalement, cela pourrait déclencher une spirale de défiance auto-entretenue.

La hausse des marchés boursiers est-elle vraiment soutenable ? Crédits : Tima-Miroshnichenko.

En résumé, la bourse n’est ni un oracle, ni une illusion. C’est un outil, un indicateur parmi d’autres. Elle dit quelque chose de l’état de l’économie – la partie visible, mondialisée, et financiarisée. Mais elle ne dit pas tout. En s’y fiant trop, le risque est de prendre des décisions de court-terme, guidées par les humeurs des marchés plutôt que par une vision de long terme.

Dans un monde instable, où un tweet peut faire perdre des milliards, la prudence est de mise. Comprendre la bourse, c’est aussi apprendre à s’en méfier.

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