L’économie du pays : L’Europe et le Canada ont-ils les moyens de leurs ambitions d’économie de guerre ?

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L’économie du pays. Crédits : Camille Limoges

Le sommet de Londres sur la sécurité, tenu le 2 mars dernier, a mis en lumière une réalité de plus en plus évidente : la reconfiguration des priorités économiques en fonction des impératifs stratégiques. Le Canada y a tenu une place aux côtés de ses alliés occidentaux. L’Union européenne prévoit d’investir 800 milliards d’euros pour la défense, un tournant majeur qui pose une question fondamentale : les économies occidentales sont-elles prêtes à basculer vers une économie de guerre ?

Qu’est-ce que l’économie de guerre ?

L’économie de guerre désigne un mode de fonctionnement dans lequel un pays réoriente ses ressources, ses capacités industrielles et ses finances vers l’effort militaire. Cela implique souvent une intervention renforcée de l’État, une augmentation des dépenses publiques et un changement dans les priorités de production. Historiquement, les économies de guerre ont été associées aux conflits mondiaux du XXe siècle, où les gouvernements ont pris le contrôle de la production industrielle, instauré des rationnements et dirigé les investissements vers l’armement.

Aujourd’hui, l’enjeu est différent. Aucun des pays occidentaux ne se trouve en guerre directe sur son sol, mais la détérioration du contexte sécuritaire – guerre en Ukraine, tensions en mer de Chine, insécurité au Moyen-Orient – pousse à une remobilisation des ressources vers la défense. Le défi est alors double : financer cette transition sans compromettre la stabilité macroéconomique et assurer une transformation industrielle suffisamment rapide pour répondre aux nouvelles menaces.

L’Union européenne : une transformation contrainte mais inévitable

Crédit : Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

L’annonce des 800 milliards d’euros d’investissement pour la défense marque un changement radical pour l’Union européenne. Longtemps dépendante de la protection américaine via l’OTAN, l’UE réalise qu’elle doit prendre en main sa propre sécurité. L’Allemagne a déjà amorcé ce virage en créant un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour moderniser son armée, tandis que la France, l’Italie et la Pologne accélèrent leurs dépenses militaires.

Mais une question se pose : l’Europe a-t-elle les moyens de financer cette réorientation ? La réponse est mitigée. D’un côté, l’UE dispose de puissantes industries de défense, notamment en France (Dassault, Nexter, Naval Group) et en Allemagne (Rheinmetall, Krauss-Maffei Wegmann). Le potentiel industriel est donc bien présent. D’un autre côté, les économies européennes sont fragilisées par l’inflation persistante, le ralentissement économique et des niveaux d’endettement élevés. La Banque centrale européenne (BCE) mène une politique monétaire restrictive pour juguler l’inflation, ce qui limite les marges de manœuvre budgétaires des États.

Cependant, la nécessité stratégique semble prendre le dessus sur les contraintes économiques. La Commission européenne explore déjà des mécanismes de financement communs pour la défense, un peu à l’image des fonds de relance post-COVID. La mutualisation des efforts financiers pourrait ainsi réduire l’impact sur les budgets nationaux.

Le Canada : un retard stratégique et un dilemme budgétaire

Uniformes de soldats de l’armée canadienne. Crédit : La Presse canadienne / Jeff McIntosh

Le Canada, de son côté, affiche un retard inquiétant en matière de défense. Ses dépenses militaires se situent bien en deçà des 2 % du PIB recommandés par l’OTAN, et son armée souffre d’un sous-investissement chronique. Malgré les annonces récentes d’augmentations budgétaires, notamment pour le renouvellement de la flotte de chasseurs et le renforcement de la défense arctique, le Canada reste loin des standards de ses alliés.

La question des moyens est d’autant plus importante que l’économie canadienne traverse une période d’incertitude. L’inflation, bien que stabilisée, a pesé sur le pouvoir d’achat des ménages. Le marché immobilier surchauffé et l’endettement des ménages limitent les marges de manœuvre de la Banque du Canada pour assouplir sa politique monétaire. Dans ce contexte, un effort budgétaire massif pour la défense risquerait d’entrer en concurrence avec d’autres priorités, comme la transition énergétique ou le soutien au secteur technologique.

Cependant, Ottawa pourrait être contraint d’accélérer ses investissements militaires sous la pression de ses alliés. Le voisin américain réclame une plus grande implication canadienne dans l’OTAN et la défense du continent nord-américain. La montée des tensions géopolitiques en Arctique, où la Russie et la Chine renforcent leur présence, pourrait également forcer le Canada à revoir sa posture.

Une transition coûteuse mais inévitable

L’Europe et le Canada n’ont peut-être pas, à court terme, les ressources idéales pour une bascule totale vers une économie de guerre, mais la pression géopolitique les pousse à adapter leur modèle économique. La réallocation des budgets, l’augmentation des investissements en recherche et développement dans la défense et une réorganisation industrielle semblent inévitables.

Pour financer cette transition, plusieurs options s’offrent aux gouvernements :

  1. Mutualisation des investissements : Comme l’UE l’envisage, le Canada pourrait explorer des coopérations avec ses alliés pour réduire la charge financière.
  2. Utilisation de la dette publique : Bien que risqué dans un contexte de taux d’intérêt élevés, un recours ciblé à l’endettement pourrait être une solution temporaire.
  3. Partenariats public-privé : Le développement de technologies de défense via des collaborations avec le secteur privé permettrait d’accélérer l’innovation tout en limitant l’impact sur les finances publiques.
  4. Réallocation budgétaire : Une priorisation des dépenses publiques pourrait être nécessaire, au détriment d’autres secteurs.

Vers un nouveau paradigme économique ?

Si l’Europe et le Canada s’engagent véritablement dans une dynamique d’économie de guerre, cela aura des implications majeures. Une telle transition pourrait accélérer la réindustrialisation, favoriser la recherche technologique et renforcer l’indépendance stratégique des pays concernés. Cependant, elle pose aussi des risques : une hausse des dépenses militaires peut conduire à une réduction des investissements dans d’autres domaines essentiels, comme l’éducation, la santé ou la transition énergétique.

L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre impératif sécuritaire et stabilité économique. Ce qui est certain, c’est que le contexte géopolitique actuel impose une redéfinition des priorités. L’Europe et le Canada n’ont peut-être pas encore les moyens d’une économie de guerre au sens strict, mais ils n’ont plus le luxe d’ignorer la nécessité d’un effort de défense renforcé.

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