Les mains sales: Pour une revalorisation de l’âge d’or

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Mains sales
Crédit image: Sarah Gardner

En 1932, l’écrivain britannique Aldous Huxley publiait son célèbre roman Le meilleur des mondes. L’histoire se déroule dans un monde futuriste, défini par la technologie et l’eugénisme.

Les classes les plus hautes de la société sont constamment droguées, vivant dans une société hédoniste. Le fait qu’il n’y ait aucune personne âgée est un des particularismes du livre. En effet, dès qu’on tape 60 ans, les gens disparaissent, sans histoire, sans funérailles.

Beaucoup d’extraits, faits vécus ou fictions témoignent de la place difficile et solitaire qu’occupe une grande partie des ainéEs dans le monde. Chaque histoire lue est difficile. Au Japon, on connait l’exemple du seppuku, où les personnes ainées se donnent la mort lorsqu’elles deviennent un fardeau pour la famille. Dans ce pays, comme en Suède, les personnes âgées décédées sont souvent retrouvées par des voisinEs. LaisséEs seulEs dans leur appartement, les autorités ont parfois même de la difficulté à contacter la famille.

Qu’en est-il ici, au Québec, à l’heure actuelle? Comment s’inscrivent les aînéEs dans notre monde individualiste, capitaliste et individualisé?

Capitalisme et personnes âgées

L’économie capitaliste regarde les personnes ainées avec dédain. Comme certains spécialistes de la gérontologie nous le spécifient : les personnes âgées, puisqu’elles ne sont plus «productives», sont souvent victimes d’âgisme. Beaucoup d’entre elles sont victimes de problèmes relatifs à l’infantilisation et à l’abus, considérées comme un poids pour la société. Cette société n’existerait pas sans elles, il ne faut pas l’oublier.

Dernièrement, j’écoutais une vidéo sur les impacts du coronavirus en France, dans les maisons de retraite. Rappelons-le, là-bas les mesures sont beaucoup plus sévères qu’ici. Les personnes âgées sont victimes de la solitude et de l’abandon. Beaucoup sont mortes du coronavirus. Une large proportion s’est aussi laissée mourir, tannée de cet isolement, tanné d’être les grandEs oubliéEs. Quinze jours sans manger et boire est pour certainEs la seule façon d’échapper à la situation.

Beaucoup font des quarts de travail de 16 heures, ce qui augmente les oublis et les erreurs.

Ici la situation n’est pas mieux. On a entendu parler des CHSLD, des pauvres conditions. Le système de santé québécois, bien qu’il a des avantages, a aussi de fortes lacunes logistiques. On manque de lits, on manque d’employéEs, les conditions sont désastreuses. Beaucoup font des quarts de travail de 16 heures, ce qui augmente les oublis et les erreurs.

Âgisme systémique?

Cependant, depuis quelques jours, certaines personnes parlent d’un véritable choix des victimes, un «âgisme systémique», un peu comme en Italie, où on est arrivé à un point où il fallait littéralement choisir entre des personnes à sauver, faute de matériel.

Si on dit que les plus de 70 ans représente 19% de la population, il représente plus de 92% des décédés de la COVID-19.

Nous ne sommes pas encore renduEs à ce point. Force est de constater que la plupart des décès se situe dans la tranche d’âge regroupant les plus de 70 ans. On commence à pointer du doigt le fait que les victimes sont souvent contenues dans la même tranche d’âge. Le docteur Réjean Hébert signalait cette semaine que les plus de 70 ans sont les plus oubliéEs de cette pandémie.

En effet, au cours de la première vague, on considère qu’environ 10% de la population des CHSLD est décédée. Si on dit que les plus de 70 ans représentent 19% de la population, cela représente plus de 92% des décédéEs de la COVID-19. C’est le résultat de coupes budgétaires depuis maintenant 20 ans. Comme l’évoquent Dr. Hébert et M. Cloutier dans leur lettre ouverte, imaginez si 10% des enfants étaient décédéEs. Le gouvernement aurait rapidement pris des mesures.

Pire qu’un âgisme systémique, dans les hôpitaux on a parlé parfois de génocide gériatrique. C’est-à-dire que le manque d’équipement et de personnel fait que beaucoup de morts qui auraient pu être évitées ou qui auraient pu avoir lieu avec plus de dignité n’ont pas lieu. Dans certains cas, on a plus de 90 patientEs pour 1 infirmier ou infirmière.

Si on dit des personnes âgées qu’elles ne sont plus utiles, car elles ne produisent plus, plusieurs gérontologues vous répondront qu’elles redonnent à la société d’une autre façon. Beaucoup d’entre elles contribuent à la société à travers le bénévolat, la charité. Bref, tout ce que les gens qui travaillent 40 heures par semaine n’ont pas le temps de faire.

Une vision de la vieillesse à changer

La vision de la vieillesse change avec le temps et la position géographique. Au Québec, l’urbanisation des ménages a mené à l’hébergement massif des personnes âgées dans les établissements spécialisés. Cependant, il serait beaucoup mieux pour leur santé mentale et physique, si on investissait dans les soins à domicile.  

La vision étatique de la prise en charge des personnes ainées est un choix québécois. Dans d’autres pays, comme en Chine, les familles prennent souvent la charge pour ne pas engorger les frais de l’État. Les ainéEs sont regardéEs avec respect dans plusieurs cultures latines, africaines et asiatiques pour leur savoir et l’aide qu’ils et elles peuvent apporter à la famille. En Occident, les ainéEs souffrent beaucoup. Bien qu’aucune société ne soit homogène, la tendance ne regarde pas très bien à mesure que la pandémie continue.

C’est un projet de société pour le futur, alors que les ainéEs deviendront la plus grande partie de la population dans les années à venir.

L’âge comme une richesse

En guise de réflexion, une citation de l’une de mes autrices et philosophes préférées :

«La vieillesse dénonce l’échec de notre civilisation. C’est l’homme tout entier qu‘il faut refaire, toutes les relations entre les hommes qu’il faut recréer si on veut que la condition du vieillard soit acceptable. Un homme ne devrait pas aborder la fin de sa vie les mains vides et solitaire. Si la culture n’était pas un savoir inerte, acquis une fois pour toutes puis oublié, si elle était pratique et vivante, si par elle l’individu avait sur son environnement une prise qui s’accomplirait et se renouvelait au cours des années, à tout âge il serait un citoyen actif, utile!»

-Simone de Beauvoir

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