
Les péjoratifs s’accumulent au sujet du français familier québécois, trop souvent qualifié d’une sous-langue «désarticulée, appauvrie, informe». La linguiste Anne-Marie Beaudoin-Bégin prouve le contraire dans son remarquable essai La langue rapaillée. Combattre l’insécurité linguistique des Québécois.
La linguiste rebelle se désaffilie des vieux puristes. Loin de nous dicter comment parler et quoi ne pas dire, elle offre, à revers, «un vibrant plaidoyer en faveur de la vitalité du registre familier dans les contextes où il peut s’épanouir, de la variation comme principe d’existence de la langue et du français vif, à l’usage encadré et non écrasé, par les normes prescriptives», comme l’affirme Samuel Archibald dans la préface.
Une linguiste qui dérange
Nombreux sont ceux qui pensent, encore aujourd’hui, que le français est mal parlé au Québec, si bien qu’il finira par disparaitre. La solution? Enrayer le registre familier et adopter, du mieux qu’on le peut, le fameux français international, aussi appelé français soutenu/standard. Parler un «meilleur français» deviendrait ainsi une arme destructrice contre l’assimilation anglaise et l’anéantissement de notre langue.
Anne-Marie Beaudoin-Bégin ne sent pas le danger: le registre familier québécois est loin d’être un parasite destructeur. Le français international est constamment altéré partout où on le parle, et cette diversité ne mène pas à la disparition d’une langue. La linguiste s’efforce de rappeler que le français ne se résume pas au «français standard» puisque, comme elle le dit, «il n’y a pas UNE langue française. Il y a DES langues françaises. Et c’est l’amalgame de toutes ces langues françaises qui donne la Langue Française».
Notre langue se déplie en une multitude de variétés qui doivent être également considérées. Le registre soutenu, normé et fortement standardisé, s’emploie dans certains contextes, alors que le registre familier est plus approprié pour d’autres situations.
La richesse de la diversité
Pour redonner les lettres de noblesse au registre familier, il fallait d’abord prouver que le registre soutenu n’est «rien d’autre qu’un code social de plus, régi par des règles prédéfinies qu’il s’agit d’appliquer dans les situations adéquates». L’auteure nous rappelle avec raison que les outils linguistiques (dictionnaires, ouvrages de référence) ont été conçus par des humains qui ont entrepris une sélection subjective d’un lexique soi-disant meilleur de la langue française.
Si le mot performer n’apparait pas dans le dictionnaire, ça veut simplement dire que ce mot n’a pas été élu «mot pouvant faire partie du dictionnaire» par une certaine élite. Performer, en revanche, existe et peut être utilisé dans certains contextes. Par cette démonstration, la linguiste désacralise le fameux dictionnaire et insiste sur son caractère arbitraire.
On dit souvent que le registre familier n’apporte pas une profondeur comme le peut le français soigné. Bullshit selon Anne-Marie Beaudoin-Bégin. Le registre familier – tout comme le registre soutenu – donne accès à des réflexions profondes, voire savantes. Il apporte un effet stylistique singulier et il est utilisé intelligemment par certains chroniqueurs. La linguiste réussit, sans trop de mal, à nous convaincre du lustre que revêt notre langue bien à nous.
La logique des puristes
Pourquoi surf, web et steak sont acceptés, même si ce sont des anglicismes, alors que kit ne l’est pas? Pourquoi informel est toléré, alors que son antonyme est condamné ? Tout simplement parce que la langue française est régie par des règles souvent illogiques. Malgré tout, certains puristes veulent, par souci de crédibilité, trouver des explications et nier le caractère illogique de la langue française. C’est là que se situe le problème selon l’auteure. En s’efforçant de masquer le caractère insensé de la langue, les puristes exaspèrent les gens. Par conséquent, nombreux sont ceux qui «capitulent et cessent d’accorder de l’importance aux sacro-saintes règles (c’est d’ailleurs ce qui est un peu en train de se passer), ou bien ils se tournent vers l’anglais, simplement».
Entendons-nous, l’auteure ne veut pas que nous plongions dans une anarchie langagière, laissant place à toutes les libertés. Elle conseille simplement aux puristes de montrer la langue soutenue telle qu’elle est, c’est-à-dire souvent insaisissable et régie par des règles qui ne proviennent pas de l’Évangile, mais qui ont été choisies par une certaine élite.
L’éloge du parler québécois
La langue rapaillée. Combattre l’insécurité linguistique des Québécois engage une réflexion sur la perception commune et sévèrement faussée de notre langue. En fermant le livre, croyez-moi, vous aurez envie de parler fièrement le registre familier et de crier «Au y’able les puristes!».
L’essai de cette linguiste dégourdie et de cette excellente vulgarisatrice inaugure bien cette prochaine série de chroniques littéraires qui se concentre sur la littérature québécoise. Il s’agira, encore cette année, de faire découvrir des auteurs du Québec qui jouent brillamment avec les mots et qui prouvent, tout comme le fait Anne-Marie Beaudoin-Bégin, que la langue française n’a nul besoin de revêtir l’élégance du français soutenu pour créer des œuvres à la fois remarquables, accessibles et riches.
La langue rapaillée. Combattre l’insécurité linguistique des Québécois
Anne-Marie Beaudoin-Bégin
Somme toute
Montréal, 2015, 120 pages
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