Mange, lis, aime: De l’écran au réel

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Photo: Éd. Boréal
Photo: Éd. Boréal

La couverture du livre Ma vie rouge Kubrick de Simon Roy est d’un beau bleu paisible, mais elle aurait dû être d’un rouge vif, puisque l’œuvre est tapissée de sang lugubre et de moments déstabilisants qui rappellent davantage une vive folie que l’apaisement.

Professeur de littérature au Collège Lionel-Groulx, Simon Roy, petit nouveau dans le monde littéraire québécois, en a surpris plusieurs en signant Ma vie rouge Kubrick, une sorte d’œuvre hybride qui se situe toujours dans un entredeux: entre l’essai et le roman, le réel et la fiction, l’horreur et la tendresse, le cinéma et la littérature. Un entredeux si bien maitrisé par Simon Roy que son œuvre échappe à toute classification et lui a valu le Prix des libraires du Québec 2015.

Le leitmotiv de Simon Roy: The Shining

Le livre naît d’une fascination pour l’œuvre The Shining de Stanley Kubrick, «cette histoire étrange située dans un hôtel où s’installent hors saison un écrivain, sa femme et leur garçon aux pouvoirs extrasensoriels». Le film – que je ne connaissais pas – a marqué plusieurs cinéphiles depuis sa sortie en 1980. Parmi eux, l’on retrouve Simon Roy, qui a découvert The Shining lorsqu’il était enfant et qui n’a cessé de le visionner et de le décortiquer depuis. «Un peu TOC moi-même, j’aime prétendre que j’ai vu ce film quarante-deux fois, même si je sais que c’est bien davantage», avoue l’écrivain.

Les allusions au film dans Ma vie rouge Kubrick ne cessent de s’accumuler au fil des pages : l’auteur reconstitue certains dialogues, décortique à l’excès des scènes, nous fait part de la réception, trace un franc portrait de Stanley Kubrick, relate certaines anecdotes concernant les acteurs et le tournage. Cette manie du détail et cette laborieuse documentation ne sont pas étonnantes: au départ, Simon Roy voulait consacrer l’entièreté de son œuvre à son film d’enfance.

C’est surtout au début du livre que Simon Roy nous bombarde d’informations cinématographiques. Les premiers chapitres sont entièrement consacrés à The Shining. Qu’on se le dise, ces premières pages – pour ceux qui ne sont pas amateurs de Kubrick – ne suscitent pas beaucoup d’intérêts. Je doutais de me rendre jusqu’à la dernière page du livre. Mais, l’on comprend assez rapidement la pertinence de ce laborieux préambule cinématographique.

L’ingénieux renversement 

«Une lassitude aurait dû me gagner depuis longtemps si The Shining ne portait pas en lui les symptômes tragiques d’une fêlure qui m’habite. Au contraire, c’est comme si la pénétration profonde de ce film de Kubrick permettait d’intégrer des éléments troubles de mon histoire personnelle, de ma généalogie macabre. Comme si je retrouvais dans les couloirs labyrinthiques de l’hôtel Overlook les silhouettes fantômes de mon passé familial», affirme l’écrivain au milieu de son récit.

C’est à ce moment que l’œuvre prend son envol et devient véritablement captivante. L’écrivain marque une relation entre son obsession pour The Shining et sa «généalogie macabre». L’horreur qui traverse le film semble aussi traverser la vie familiale de Simon Roy.

L’auteur nous livre la vie de sa mère traumatisée et dépressive qui se suicidera au courant du livre, laissant derrière elle une enfance gâchée par son père fou et meurtrier. The Shining devient une manière d’introduire l’horreur du réel. Simon Roy tisse ainsi sa trame narrative dans cet entredeux surprenant – entre la figure maternelle et l’obsession pour un film d’horreur. J’apprendrai que Ma vie rouge Kubrick a été écrit peu de temps après le suicide de la mère de l’écrivain. Le lecteur ressent cette douleur, toujours vive, dans l’écriture.

Simon Roy est en plein contrôle de sa galère.

L’œuvre en capsule

L’essai de Simon Roy est fragmenté et divisé en courts chapitres. Les titres de chaque segment sont ingénieux, surprenants, à l’image de l’ensemble de l’œuvre. Simon Roy écrit de manière très fluide: rien ne parait difficile à dire, tout coule même si l’œuvre relate des évènements tragiques, tantôt fictifs, tantôt réels.

Dans son œuvre fragmentée, Simon Roy enchevêtre intertextualité, analyses cinématographiques, souvenirs d’enfance, tout en nous faisant ressentir la folie et l’obsession. Ces thèmes hétérogènes se lient étonnamment bien. Simon Roy est en plein contrôle de sa galère.

Détourner les attentes

L’écrivain prend à revers toute attente en passant d’une analyse cinématographique à un récit autobiographique, en soudant des sujets qui ne semblent pas toujours complémentaires, en s’écartant parfois du filon principal. Il n’est pas étonnant que cette manière unique et ambitieuse d’écrire ait attiré l’attention. Simon Roy offre une œuvre difficile à décrire, puisqu’elle ne tient compte d’aucune règle.

Et, à bien y penser, le bleu paisible de la première de couverture semble bien choisi, puisqu’il répond au projet littéraire de l’œuvre : celui de surprendre, de détourner les attentes.

Simon Roy

Ma vie rouge Kubrick

Date de parution : 15 septembre 2014

Boréal, coll. « Liberté Grande »

*** (sur 5)

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