Mange, lis, aime: La poésie du carnivore

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Qu’on se le dise, chasser le chevreuil ou se geler les fesses en novembre, ça n’a vraiment rien de sexy. Ce sont pourtant ces thèmes centraux qui façonnent le recueil de poésie Tailler les mammifères dans lequel on retrouve un mélange de carcasses saignantes, de paysages hivernaux et de chasseurs barbus. Il suffisait de joindre la prose dérangeante de Catherine Poulin et les courts vers de Mathieu Simoneau pour me convaincre de l’univers saisissant du carnivore armé et des beautés de l’hiver québécois.

Un recueil, deux poètes

Dans Tailler les mammifères, deux plumes s’entrecroisent: celle de Catherine Poulin, lauréate du prix Piché de poésie de l’UQTR pour sa suite poétique inspirée de l’univers de la chasse, Tailler les mammifères et celle de Mathieu Simoneau, qui a reçu une mention au même prix pour Sur l’autre versant, que l’on retrouve en seconde partie dans le recueil.

Tailler les mammifères réunit ces deux textes laborieusement construits et applaudis par la critique, avec raison: il serait difficile de ne pas y voir le talent des deux poètes, sortant des sentiers battus.

Épuiser le sujet

C’est dans une prose poétique que Catherine Poulin met en scène à la fois le chasseur et sa proie, à la fois le gibier qui «répand [s]on odeur de poisson pourri» dans la forêt et sa chair appétissante que l’on retrouve dans l’assiette.

La poète ne s’est pas restreinte à n’exposer qu’une facette de l’univers de la chasse, mais décide plutôt de le présenter dans sa globalité, sans omettre les détails. Elle réussit à tailler des portraits saisissants et à nous les faire voir: les corps inertes et violentés des animaux entassés dans un pick-up sont si bien détaillés qu’ils nous apparaissent nettement à l’esprit, tout comme le chasseur qui a «plus de deux mois de barbe à n’en plus finir» et «le doigt en épilepsie sur la détente».

Mathieu Simoneau, quant à lui, peaufine le lieu du prédateur et de la faune en poétisant les forêts enneigées québécoises.

L’image et les mots

Si le recueil n’est composé que de textes, sans illustration, les images abondent plutôt dans les poèmes. Catherine Poulin et Mathieu Simoneau ont en commun de créer des portraits surprenants, imagés, qui se tiennent loin du réel.

Le recueil de poésie repose sur une structure antinomique intéressante en oscillant entre la surcharge et l’épuration, entre l’univers cru du chasseur et une sage ode à la nature.

La poète humanise le fusil de chasse : «L’estomac vide de ta carabine». Le poète, de la même façon, personnifie des paysages qui n’ont rien d’humain: «Ce matin la neige a l’air d’un enfant tranquille/il fait un temps de bouche cousue». C’est en associant dans un même énoncé des éléments distincts que les deux auteurs nous prouvent que la poésie est le lieu de toutes les possibilités.

Des poésies qui s’entrechoquent

La prose poétique de Poulin se place aux antipodes des poèmes épurés de Simoneau: Tailler les mammifères joue ainsi sur des plans opposés. La première partie est surchargée d’images variées et de longs vers qu’il faut parfois relire deux fois pour en saisir le sens.

S’ajoute à cela une teinte d’humour noir et des références à Boucle d’Or ou Winnie L’Ourson. Les histoires touffues de Poulin laissent ensuite place, dans la seconde partie, aux courts vers de Simoneau, souvent séparés par de nombreux espaces ou des pages entières.

Le recueil de poésie repose ainsi sur une structure antinomique intéressante en oscillant entre la surcharge et l’épuration, entre l’univers cru du chasseur et une sage ode à la nature.

Pour une typo réussi

La manière de placer les mots sur la page blanche n’a rien d’anodin en poésie: les deux auteurs de Tailler les mammifères l’ont bien compris.

Catherine Poulin met en lumière des expressions saisissantes en créant une organisation typographique atypique: «Deuxième cargaison OH HISSE l’autre rejeton sur la table d’assemblage». La poète ponctue sa prose d’espaces, de majuscules, de points d’exclamation et d’italique et arrive ainsi à susciter l’intérêt du lecteur.

Mathieu Simoneau nous transporte dans l’hiver québécois: les nombreux espaces blancs qui séparent ses vers ne sont pas sans rappeler le paysage québécois hivernal, envahi par des amas de neige.

Superposer quelques poèmes de Simoneau sur ceux de Poulin est l’une des grandes forces du recueil: ce qu’ils perdent en lisibilité, ils le gagnent en créativité. Ce sont bien deux textes aux qualités forts différentes qui sont réunis dans Tailler les mammifères, mais l’on remarque, chez l’un et l’autre, le même souci du détail autant pour le choix des mots que pour la mise en page.

Éditions d’Art Le Sabord

Catherien Poulin et Mathieu Simoneau

Tailler les mammifères

56 p.

***1/2

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