Mange, lis, aime: La vie littéraire selon Mathieu Arsenault

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Photo: Le Quartanier
Photo: Le Quartanier

Mathieu Arsenault est méconnu du grand public, il ne sera jamais un invité de Tout le monde en parle, ni un professeur d’université réputé et ses œuvres Album de finissants (Triptyque, 2004) et Vu d’ici (Triptyque, 2008) n’ont jamais été étiquetées «Coup de cœur Renaud Bray»: il est pourtant un chaînon essentiel dans le monde littéraire québécois et l’un de ceux qui apportent du carburant à une institution qui est en train de mourir.

L’homme derrière le livre

Mathieu Arsenault se plaît en marge de la société et tient le pari depuis quelques années de faire rouler à sa façon la «machine littéraire», qu’il se désole à voir rouiller. Il vend et crée des objets littéraires au goût du jour sur le site www.doctorak.co/boutique. Certains de ses jeux de mots imprimés sur des chandails et des macarons font maintenant partie du répertoire des bonnes blagues du littéraire. Parmi eux, on retrouve «Louis Ferdinand Céline Dion» ou encore «Tequila Heidegger, pas le temps de niaiser».

Mathieu Arsenault ne sera jamais un partisan du populaire et du commun. Il s’anime devant des œuvres oubliées qui traînent au fond des tiroirs et admire les auteurs boudés par le grand public qui ont choisi d’écrire à leur façon plutôt que de divertir les matantes en manque d’action. C’est la raison pour laquelle il a créé Le Gala de la Vie littéraire dont le but est «d’essayer de faire le tour de tout ce qui existe sans nous restreindre et [faire] notre gros possible pour damer le pion aux autres prix et récompenser des artistes dont ils n’ont parfois même jamais entendu parler. C’est ça la game, c’est ça notre thrill».

Entre sa vente de macarons et sa remise de prix à des artistes oubliés, Arsenault prend le temps de scruter le monde dans lequel il baigne: il nous livre d’ailleurs ses observations dans La vie littéraire en cédant la parole à une femme de lettres moderne et marginale qui ne manque pas de lucidité.

Les montées de lait de la littéraire

Ce sont de courts monologues, bousculés les uns à la suite des autres, et provenant d’une unique voix – franche et féminine – qui défilent dans La vie littéraire. Cette logorrhée que met en scène Mathieu Arsenault pointe du doigt une importante lacune de notre société: on se retrouve «au milieu des librairies qui ferment des journaux en faillite et de tous ses fantômes qui n’ont plus le temps de lire ou de rien faire sinon d’attendre que se refroidisse définitivement l’univers littéraire».

«Mathieu Arsenault est […] un chaînon essentiel dans le monde littéraire québécois et l’un de ceux qui apporte du carburant à une institution qui est en train de mourir.»

Chaque page du livre d’Arsenault révèle des vérités qui ont l’effet d’un coup de massue: le monde du livre se meurt pendant que les gens remplissent leur quotidien de vidéos de chats sur YouTube. Notre principale référence (exclusive pour la plupart) est Wikipédia alors que les romans ne deviennent que des bibelots à dépoussiérer. Arsenault met en lumière l’effondrement de la vie littéraire, mais aussi la société malade qui est la nôtre, dans laquelle le divertissement prend toute la place, au détriment du savoir et de la connaissance.

Dire en un seul souffle

Arsenault a créé une œuvre sans ponctuation comme si la narratrice parlait vite, sans prendre le temps de respirer. Il devient nécessaire de tracer le portrait critique de la vie littéraire quand elle est sur le point de mourir. L’écriture d’Arsenault est spontanée et dérangeante: elle déstabilise le lecteur, mais lui fait prendre conscience de l’urgence d’agir. L’auteur n’a pas l’habitude de faire dans la dentelle pour montrer l’engourdissement intellectuel de notre société.

L’œuvre n’attirera pas la sympathie de tous les lecteurs à cause des nombreuses phrases qui ne semblent jamais devoir se conclure: certains arriveront à la lire sans interruption, en buvant les paroles de la narratrice; d’autres, comme moi, auront du mal à garder l’attention jusqu’au point final. Heureusement, l’auteur nous permet de reprendre notre souffle en divisant l’œuvre en courts textes, débutant par des titres en italique qui donne à tout coup l’envie de continuer à lire. Les pauses de lecture sont toutefois nécessaires puisqu’Arsenault nous gave de références et nous bombarde de tristes réalités.

Écrire, pas divertir

L’auteur ne cesse de le rappeler: le livre ne doit pas être réduit à un objet de divertissement; il peut y renfermer une mine de savoir. Il nous le prouve avec son brûlot La vie littéraire qui ressemble à un essai sur la littérature, mélangé à de la fiction et de la prose poétique.

Au-delà du style singulier de l’œuvre, l’on retient surtout les propos lucides d’un intellectuel à qui l’on ne devrait pas faire la sourde oreille, comme on le fait trop souvent…

Auteur : Mathieu Arsenault

Titre : La vie littéraire

Maison d’édition : Le Quartanier, 2014

Année : 97 pages

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