Mange, lis, aime: Prendre plaisir au tragique

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Photo: Éditions du Boréal
Photo: Éditions du Boréal

Le Feu de mon père est le type d’œuvre qui se lit d’un trait: les pages se tournent d’elles-mêmes et le point final arrive trop tôt. Michael Delisle ne traite pourtant pas d’un sujet léger. C’est une enfance malheureuse qui est racontée et une relation amour-haine entre un fils et un père bandit. L’auteur réussit à toucher avec une écriture épurée et poignante, si bien que l’on prend honteusement plaisir à suivre le parcours malheureux d’un fils négligé.

L’enfance, la vingtaine, la mort

Le Feu de mon père s’ouvre sur un ramassis de souvenirs de famille laissant voir un père absent et une mère instable, au bord de la folie. Le narrateur – souvent perçu comme le double de l’auteur – raconte que sa mère, enceinte de lui, déboulait les escaliers pour provoquer un avortement naturel, ou même qu’«à plusieurs reprises, elle a couvert [s]on visage de nourrisson de cellophane pour laisser faire le hasard pendant quelques heures».

Un soir, son père a visé sa mère avec son fusil (l’arme est baptisée «feu» dans l’œuvre). Pour se protéger, la femme se cacha derrière son fils nu; le nourrisson a servi d’armure contre le «canon paternel». Ce souvenir, qui justifie le titre du roman, constitue le point d’ancrage autour duquel se construit la vie fragmentée du fils malheureux. Ce sont ces images fortes qui ponctuent le récit de Delisle, et qui nous sont racontées sans pudeur. Dès les premières pages, l’auteur réussit à nous plonger dans ce passé tragique avec une écriture efficace, à la fois épurée et chargée d’émotion.

Delisle nous transporte ensuite dans une autre époque: le nourrisson malmené est parvenu tant bien que mal à la vingtaine. «Lire de la poésie et écrire de la poésie m’ont aidé à tenir bon», dit-il. Sa mère se passionne maintenant pour l’astrologie. Le criminel qu’était son père tente d’oublier ses crimes à coup de prières et de pratiques religieuses. Dieu fera sans doute partie de ses dernières pensées confuses, avant de mourir sur un lit d’hôpital.

C’est d’ailleurs son fils qui l’accompagnera dans ses derniers souffles: «Je passe mon doigt sur son vieux tatouage de marin […] Je reconnais la parenté organique et l’odeur qui monte de son corps: un parfum de vieux drap gorgé de phéromones. Cet encens sébacé est mon seul lien avec cet homme, le seul que je reconnaisse. Cet animal m’a donné la vie». Michael Delisle réussit ainsi à mettre en scène une relation paradoxale de tendresse et de haine entre un fils manqué et un père manquant.

Le «je» intime du poète

On peut dire que Michael Delisle s’est inspiré de sa vie pour écrire son récit. Dans Le Feu de mon père, il prend d’abord la posture du poète, avant même de s’afficher fils d’un bandit. La plupart des chapitres s’ouvrent sur des réflexions littéraires et le lecteur a souvent accès au processus d’écriture du roman: «Je n’ai pas trouvé d’exergue pour ce livre. Une image qui donne le ton, une phrase qui trace le premier trait, un nom propre qui place le sérieux. Une phrase pour débarrer la porte. Je cherche, je ne trouve pas». Cette franchise qui apparaît d’emblée dans l’œuvre crée une sorte d’intimité entre le lecteur et l’auteur. Delisle a décidé de partager à la fois de douloureux souvenirs et ces incertitudes lorsqu’il prend la plume.

L’auteur réussit à toucher avec une écriture épurée, poignante, si bien que l’on prend honteusement plaisir à suivre le parcours malheureux d’un fils négligé.

Avant Le Feu de mon père, Delisle a écrit six recueils de poésie dont Long glissement (1996) et Prière à blanc (2009). C’est bien la plume d’un poète que l’on retrouve dans ce bref récit: les mots sont soigneusement choisis, les phrases s’enchaînent avec fluidité, les images évoquées sont chargées d’émotions et le rythme de l’œuvre rappelle le dynamisme du vers. Le poète arrive à dire beaucoup en peu de mots, comme lorsqu’il raconte un moment tragique de son enfance: «Un corridor obscur. À l’ouest, mon père armé. À l’est, ma mère éméchée. Moi suspendu entre les deux sur le point d’être éventré par les projectiles brûlants[…]Cette nuit est la nuit de mon histoire». Ce sont ces phrases courtes, percutantes et efficaces qui donnent envie de poursuivre notre lecture.

Pas étonnant que l’auteur soit en lice pour le Prix littéraire des collégiens et que le Grand Prix du livre de Montréal lui ait été décerné en novembre. Rares sont les écrivains qui arrivent comme Delisle à se mettre à nu, et surtout, à raconter le tragique sans tomber dans un style ampoulé ou lyrique.

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Auteur: Michael Delisle

Titre: Le Feu de mon père

Parution: Février 2014

Éditions du Boréal

121 p.

**** (4 sur 5)

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