
Du roman fantastique contemporain au Québec, il n’y en a pas des tonnes. C’est donc une belle surprise d’en trouver sur les tablettes de nos libraires de temps en temps, et encore plus quand il s’agit d’un tout nouvel auteur qui nous donne l’occasion d’explorer un nouveau monde.
L’Ensorceleuse de Pointe-Lévy du Mauricien Sébastien Chartrand est parue l’automne dernier chez Alire, le seul éditeur québécois qui se consacre entièrement à la littérature de genre (polar, SF, fantastique…). Ce premier volet d’une trilogie fantastique historique a pour décor la Mauricie du XIXe siècle. Le folklore canadien-français rejoint les légendes amérindiennes dans ce récit qui se distingue de ses contemporains par sa mise en scène certes, mais aussi par son style qui se rapproche plus des Beaugrand et Fréchette et de la tradition orale que des romans fantastiques modernes.
Familière étrangeté
Au lieu d’aller chercher au loin dans les mythologies d’ailleurs, Sébastien Chartrand a eu l’excellente idée pour son roman (très peu exploitée, et pourtant…) de puiser dans les contes folkloriques canadiens-français et dans la richesse des légendes et coutumes des peuples autochtones. L’intrigue se déroule au XIXe siècle, dans la région du Saint-Maurice, et a pour personnage principal un jeune bedeau qui travaille au presbytère de Notre-Dame des Tempérances avec son oncle, le curé Lamare. Ils en viennent à enquêter sur une suite d’étranges évènements venant perturber la quiétude du village. On apprend que, œuvrant sous le couvert de la soutane, les faux religieux sont en vérité parmi les derniers à pratiquer la version théurgique des arcanes, une magie à caractère scientifique, calculée, géométrique, rigoureuse et qui impose à son utilisateur un prix: celui de diminuer sa longévité. Plus un sort est puissant, plus il raccourcit la vie de celui qui l’invoque. Faustin, son oncle, et le vicaire se rendent compte que des goétistes (les praticiens de la version noire des arcanes) sont de nouveau à l’œuvre. À l’aide de François Gauthier, le vicaire, de Shaor’i, la guerrière indienne qui a le pouvoir de se métamorphoser à volonté en harfang des neiges, et de l’homme fort des chantiers, Baptiste, Faustin se met à la poursuite de l’énigmatique Étranger. Sa quête le mènera à travers les villes, les forêts, et à remonter en canot les rivières de la vallée du Saint-Maurice.
En même temps que Faustin, le lecteur découvre que les créatures comme la bête à grand-queue, les wendigo, les lutins, les loups-garous et autres ne sont pas que des êtres de légendes. Dans L’Ensorceleuse de Pointe-Lévy, histoire populaire, anthropologie, science et légende se mêlent et des phénomènes surnaturels trouvent une explication scientifique. Les contes comme ceux de la Corriveau et de la Chasse-Galerie sont revisités et éclairés d’une lumière nouvelle. Les conséquences de l’épidémie de choléra et des Rébellions de 1837-1838 sont encore bien palpables. On ne peut nier l’extrême rigueur avec laquelle le jeune romancier a fait ses recherches pour recréer ce monde dans un univers touché de surnaturel. Toute une époque de notre propre patrimoine nous est agréablement révélée.
Quelques bémols
Malheureusement, quoique le décor soit bien solidement ancré et que l’ambiance bien établie par le contexte rappelant la fascination des doctrines spirites en vogue au XIXe, les personnages principaux manquent cruellement de profondeur. On s’attache difficilement à Faustin, l’élu, qui est plutôt plat et tellement naïf qu’on pourrait le traiter d’innocent, au sens le moins élogieux du terme. Même si le narrateur le décrit à quelques reprises, on peine à ressentir sa personnalité. L’auteur aurait gagné à laisser le lecteur découvrir comment sont les personnages par leurs réactions ou leurs actions plutôt que de tenter de nous le dire d’emblée. De plus, le récit m’a semblé alambiqué. Les évènements déclencheurs semblent tomber du ciel et les personnages ont l’air d’être tirés par des ficelles au lieu d’être poussés par leurs propres décisions et convictions. Le style de narration vieilli (privilégiant le plus-que-parfait) aurait eu sa place dans une soirée de contes folklorique, pas tellement dans un roman contemporain qui se décline en trois tomes. Les dialogues manquent de naturel et donnent l’impression d’exister pour l’unique objectif de bombarder le lecteur de renseignements. Par moments, je me suis demandé si je n’assistais pas à une partie de jeu de rôles sur table…
Diamant brut
Même si l’écriture manque de maturité et de naturel, il reste tout de même plusieurs passages évocateurs et pleins de poésie, comme certaines descriptions de lieux et de sortilèges, qui méritent amplement le détour. Un diamant brut qui aurait gagné à être peaufiné encore un peu, mais un diamant tout de même. Je vous le conseille ne serait-ce que pour l’originalité de son approche et pour l’expérience d’être immergé dans un monde étrange, mais pourtant familier qui nous incite à porter un regard nouveau sur nos origines et notre patrimoine. La suite est attendue pour le printemps 2014.