
En réécoutant des émissions de Passe-Partout avec mon fils dernièrement, j’ai été étonnée de l’importance qu’on y accordait à l’agriculture. Plusieurs capsules étaient réservées à la ferme de Fardoche, à ses animaux, au temps des sucres, à la culture d’un potager. L’agriculture et ses méthodes ont beaucoup changé depuis les trente dernières années et un grand fossé s’est creusé entre le monde urbain et le monde rural. Dans le monde effréné dans lequel on vit, quand la viande et les légumes viennent tout emballés à l’épicerie et que les repas de restauration rapide sont digérés aussi vite que commandés, on peut vite oublier à quel point l’agriculture fait partie intégrante de notre quotidien. De nombreux mouvements de conscientisation sont en train de renverser la vapeur, nous n’avons qu’à penser à des initiatives comme l’agriculture soutenue par la communauté, les marchés de solidarité locaux, les questionnements posés par l’éthique animale ou les OGM, le phénomène des foodies et la popularité incontestée des émissions de chefs cuisiniers… Le produit est remis à l’honneur et, par le fait même, on remet le producteur sous les feux de la rampe.
Une fenêtre sur le monde de l’agriculture
Le 9 septembre dernier, l’Union des producteurs agricoles tenait pour la 11e année consécutive ses Portes ouvertes sur les fermes du Québec dans les quatre coins de la province. Pour démystifier et remettre en valeur le métier — voire la vocation — des producteurs agricoles, cet événement familial annuel permet aux Québécois de rencontrer les gens qui travaillent à la source de ce qui se trouve ultimement dans nos assiettes. Ce ne sont pas les livres qui manquent sur le sujet de l’agriculture, son impact social, économique, environnemental. Ne nous le cachons pas, les propos de ces documentaires et essais peuvent souvent sembler arides, lourds de conséquences, et souvent bien aseptisés, extérieurs et étrangers à la réalité du terrain. Mais il faut dire que je ne m’attendais vraiment pas à ce que ce soit dans un manga que je trouve un bel équilibre entre documentaire éducatif sur l’agriculture et récit ludique.
L’auteure du shonen à saveur steampunk Full Metal Alchemist nous livre cette fois-ci une bande dessinée grand public réaliste à l’humour bien dosé, mais qui ne lésine pas sur les détails. Arakawa, qui vient d’ailleurs d’une famille d’agriculteurs, a fait ses recherches et, même si comme dans tout tome d’introduction d’une série on a droit à une exposition en bonne et due forme du sujet, des personnages et de leur origine, le ton léger du scénario bien rythmé rend le tout agréable.
Quête initiatique au cœur d’une campagne résolument moderne
Le personnage principal, Yûgo, est un citadin qui choisit, par dépit bien plus que par vocation, un programme de formation en production animale dans un lycée agricole. Pensant qu’il n’aura pas trop d’efforts à fournir pour rester premier d’une classe de jeunes issus du milieu, il comprend vite que ses connaissances académiques ne sont qu’une partie des compétences qu’il devra acquérir s’il veut réussir à trouver sa propre place ici. Ses camarades de classe semblent tous avoir leur chemin tracé devant eux, portant déjà des rêves et aspirations bien précis. La distribution variée des personnages d’Arakawa permet de faire un rapide tour d’horizon des multiples professions de l’agriculture moderne. Des membres du club équestre à ceux (un peu particuliers!) du club des fanatiques de vaches Holstein, chacun a ses forces et son bagage d’expérience propre et Yûgo devra apprendre à ne pas trop se fier aux apparences. Peut-être réussira-t-il à trouver sa propre voie? Encore qu’il rechigne devant l’ampleur des tâches physiques liées aux soins des animaux, son affection pour eux est bien tangible.
Humoristique et terre à terre
Arakawa nous a habitués à son style de dessin précis, juste et expressif. Ses fines illustrations d’animaux, de tracteurs ou de petits plats côtoient les expressions faciales exagérées de ses personnages, les apartés informent ou font sourire. Mais je pense que ce qui m’a vraiment séduite, ce sont les réflexions bien plus profondes sur la nature même de l’agriculture. On assiste, par l’entremise d’une prise de bec entre frère et sœur, à un débat sur l’utilisation des additifs agroalimentaires. Les professeurs, visiblement passionnés, tentent d’inculquer à leurs protégés des valeurs de respect des animaux et laissent tomber au passage des remarques plutôt philosophiques. Pour le vétérinaire, la compétence indispensable à sa profession est d’être capable de donner la mort. «Peu importe la voie que l’on choisit, je pense qu’avoir un rêve, c’est aussi être prêt à affronter la dure réalité des choses», dit-il. Puis, de la bouche d’un palefrenier d’hippodrome, on apprend ce que l’on savait déjà: «Ces animaux n’ont rien fait de mal, ils sont juste nés dans un monde où ils n’ont que deux options: être utiles ou mourir.» En somme, je vous le recommande chaudement.