
Il y a des rencontres qui arrivent un peu par hasard, par un bref échange de courriels, et qui finissent par une entrevue et une visite de bassins au sous-sol de l’Université à parler de perchaudes et de truites mouchetées.
Tout petit, Pierre Magnan rêvait de travailler en forêt, avec des grosses bottes et un VTT. Alors inspiré du célèbre explorateur océanographique Jacques-Yves Cousteau, il faisait de la plongée au chalet familial avec un tuba pour explorer les milieux hostiles qui se cachent en-dessous de la surface de l’eau. C’était pour lui une évidence d’étudier la biologie.
Pierre Magnan ne se doutait pas qu’il serait plus tard directeur du Centre de recherche sur les interactions bassins versants – écosystèmes aquatiques (RIVE), professeur au Département des sciences de l’environnement de l’UQTR, titulaire d’une Chaire de recherche du Canada en écologie des eaux douces ainsi que directeur du Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie et en environnement aquatique (GRIL), regroupant huit universités québécoises.
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Professeur à temps plein depuis 1988 au Département des sciences de l’environnement, une des grandes fiertés de Pierre Magnan est la soixantaine de mémoires d’étudiants qu’il a dirigés, soigneusement rangés dans une bibliothèque de son bureau. C’est un réel plaisir d’interagir avec eux, de partager la passion qui l’anime, de les aider à s’organiser.
C’est dans ses premiers séminaires, lors de ses études supérieures, que le jeune homme originaire du Lac-à–la-Tortue, se rend compte de ses aspirations comme chercheur jusque là insoupçonnées. «Ça a été un choc, parce que je changeais complètement mon plan de vie: je ne serais pas le biologiste avec un canot sur le toit de ma voiture», se remémore-t-il.
Détenir une Chaire de recherche signifie en fait de donner des moyens à un chercheur qui lui permettent de demeurer actif, et donc d’accélérer la recherche: «C’est comme passer d’un Go-Kart à une Formule 1».
La perchaude: une espèce fascinante?
Dans les années 1990, la population de perchaudes dans le Fleuve Saint-Laurent s’est effondrée. Pierre Magnan, qui a voulu découvrir pourquoi, a entamé une recherche ayant pour objectif de les réhabiliter. Ses recherches ont permis de découvrir que suite à l’agriculture massive, les eaux déversées dans le fleuve contenaient des fertilisants qui causaient le développement des algues bleues. La pêche à la perchaude sur le fleuve est désormais fermée depuis 2001.
La division de la truite mouchetée
Pierre Magnan a aussi travaillé sur la truite mouchetée des lacs du Bouclier canadien dont fait partie le Parc national de la Mauricie. Il a évalué l’impact de l’introduction de menés par des pêcheurs qui les rejetaient dans les lacs à la fin de leur journée de pêche. Ces menés ont envahi le système à un tel point qu’ils ont diminué la population de truite mouchetée de 30 à 70%.
Un des moments forts de cette recherche a été la découverte de la division naturelle de la truite mouchetée en deux formes distinctes. Nous serions donc en train d’assister à l’évolution de l’espèce qui s’effectuera sur une longue période.
Ces truites sont étudiées dans des bassins du laboratoire de Monsieur Magnan. On y entre comme dans un lieu sacré, avec pour rituel la stérilisation de nos pas afin de ne pas perturber le paisible écosystème des poissons auxquels nous allons rendre visite.
Centre de recherche sur les interactions bassins versants – écosystèmes aquatiques (RIVE)
La masse critique de chercheurs aux compétences reconnues a permis l’ouverture, en 2009, de ce centre de recherche unique au Québec et dans l’est du Canada, dont Pierre Magnan en est le tout premier directeur.
Ce milieu qui génère une réelle synergie regroupe quatorze professeurs et une quarantaine d’étudiants. C’est le principe du «1+1=3», voulant qu’on va plus loin ensemble que seul. Le fait que 50% des étudiants proviennent de l’extérieur est une des marques tangibles de son rayonnement.
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La conversation dérive vers un angle plus philosophique et éthique sur le rôle des chercheurs scientifiques dans la société. Il faut bien comprendre que les chercheurs ne sont pas un groupe environnemental: «Il ne faut pas mélanger, sinon on perd notre crédibilité».
«Tout petit, Pierre Magnan rêvait de travailler en forêt, avec des grosses bottes et un VTT. Alors inspiré du célèbre explorateur océanographique Jacques-Yves Cousteau, il faisait de la plongée au chalet familial avec un tuba pour explorer les milieux hostiles qui se cachent en-dessous de la surface de l’eau.»
Comment est-ce de travailler avec un chercheur reconnu comme l’un des chefs de file mondiaux dans son domaine de recherche? «C’est très inspirant!», reconnait l’assistant de Pierre Magnan, Marc Pepino, originaire de Montpellier en France, avec qui il travaille depuis 8 ans.
Ce dernier souligne sa curiosité, ses grandes qualités humaines, son sens critique, sa connaissance de tout ce qui entoure la recherche scientifique et son accessibilité pour les étudiants. On ressent en effet son plaisir à partager ses recherches, à en rendre les perchaudes fascinantes.
Tous ces chapeaux que porte Pierre Magnan, à défaut de porter des bottes pleines de boue, demandent beaucoup de temps et d’organisation. Une chose à la fois, un peu de patience, de l’initiative, une dose de créativité et surtout de la passion. Quand la truite se sera divisée, que la perchaude aura été sauvée, Pierre Magnan continuera d’explorer.