
À l’occasion de sa 7ème édition, le Symposium de philosophie féministe se déroulait du 5 au 7 février au Pavillon de la santé de l’UQTR, en collaboration avec la Chaire de recherche en éthique féministe du Canada (CREF). Plusieurs conférences et tables rondes étaient au programme, donnant la parole aux recherches actuelles en philosophie féministe.
Un Symposium ?
Ce colloque interuniversitaire est une initiative de trois québécoises : la conseillère en communication Jade Néron, l’autrice et illustratrice jeunesse Cécile Gagnon et la philosophe Marie-Anne Casselot. Ces dernières ont notamment fait paraître ce printemps aux éditions Remue-Ménage l’essai féministe Existantes.
Consacré aux études philosophiques féministes dans le paysage académique québécois, le Symposium de philosophie féministe (SPF) est venu combler un vide dans le domaine de la recherche. L’évènement soutient, encourage, et valorise la philosophie féministe en créant un espace d’échange ouvert et sécuritaire sur des thématiques telles que le genre, les inégalités et l’intersectionnalité. Le SPF met ainsi en avant chaque année depuis 2019 des contributions issues de disciplines multiples, et permet la remise en question d’une philosophie neutre et universelle.
Politique, histoire & corps
La thématique de cette année, Politique, histoire & corps: Revitaliser les concepts et les méthodes de la philosophie, a permis des échanges aussi variés que pertinents. Nous nous sommes rendus à la table ronde 2 du 5 février qui s’intéressait à l’Écoféminisme: pratiques et attitudes, durant laquelle trois communications étaient présentées.
Écoféminisme et pensée attentive : Revitaliser les pratiques philosophiques

La première à prendre la parole est Alexandra Guité, candidate au doctorat en philosophie de l’université de Montréal et membre du CRÉ. Sa recherche soutient le besoin de repenser les pratiques philosophiques en s’appuyant sur une mise en rapport étroite entre écoféminisme et pensée attentive, en soulevant la problématique de la crise de sensibilité du vivant. Pour cela, elle s’appuie notamment sur les travaux de la philosophe australienne Val Plumwood et sa critique d’une rationalité teintée de détachement.
Sado-impassibilité et pensée attentive
Pour celle qui fut une pionnière et une militante de l’écoféminisme, cette conception hyper-séparée de la rationalité serait un produit du dualisme qui, lui-même, hiérarchise la raison bien au dessus de l’émotion et du corps, associés généralement aux femmes et à la nature. Dans son travail, Alexandra Guité mentionne le concept de sado-impassibilité développé par Plumwood. L’autrice l’utilise afin de critiquer les structures du pouvoir, notamment et majoritairement patriarcales, reposant sur l’indifférence à la souffrance et l’absence d’émotion. Autrement dit, c’est cette posture supposée neutre, qui met en opposition raison et nature1, et qui rejette l’empathie.
La doctorante a poursuivi en abordant la notion de pensée attentive (caring thinking). Cette notion, fondamentale dans la philosophie pour enfant, fait le lien entre les pensées créatrice et critique. Similaire à l’idée d’écoute active, la pensée attentive est issue de cinq grandes dimensions de la pensée selon Ann-Margaret Sharp : la pensée appréciative, active, normative, affective et empathique2. Par nature, cette notion est donc relative aux contexte et processus, mais surtout, elle favorise l’empathie, l’écoute, et la reconnaissance des besoins des autres.
Élaboration d’une philosophie de la subsistance queer à partir de la sociologie écoféministe
La seconde communication était présentée par Florence Amégan de l’Université Laval. Pour sa prise de parole, l’étudiante en philosophie a proposé l’élaboration d’une philosophie s’éloignant de l’hétéronormativité par le prisme de l’écoféminisme3.
La subsistance queer
Le concept de subsistance dont il est ici question fait référence à ce qui est hors de toute condition, qui subsiste en lui-même. La subsistance queer à laquelle Florence Amégan fait référence serait donc une philosophie qui prend la pensée et l’identité queer comme (pré)existante hors de tout contexte ou de toute condition en tant que postulat initial. Sur cette base, la chercheuse invite à poser un regard différent amenant ainsi une perspective nouvelle et inclusive.
« La subsistance n’est pas de la survivance, [ce] n’est pas non plus un désir de fixité de certaines valeurs traditionnelles. »
S’enracinant également dans les travaux de Plumwood, cette proposition s’appuie nécessairement sur une approche alternative concernant la relation de l’humain et de la nature. Le lien entre les deux serait non seulement profond mais également interdépendant. Par cette approche, la vision d’un avenir différent est mis en avant, puisque reflétant ce que la société pourrait alors advenir. Pour la panéliste, « La subsistance n’est pas de la survivance, [ce] n’est pas non plus un désir de fixité de certaines valeurs traditionnelles ». En ce sens, l’élaboration de cette philosophie pourrait s’inspirer d’économies non industrielles, mais toujours dans l’idée d’atténuer les problèmes du présent et d’imaginer un avenir.
Ainsi, à travers la proposition de l’élaboration d’une philosophie queer au moyen de la sociologie écoféministe, on retrouve la critique des structures sociales telles que la division genrées, la répartition des tâches entre les humains ou encore la hiérarchie binaire hommes/femmes.
Penser le féminisme de la subsistance : Induction et résistance
Mélanie Guillemette a finalement fermé le bal. L’étudiante à la maîtrise (Université Laval), très impliquée dans différentes causes, travaille sur la question de l’écoféminisme et le temps libre, à part de son implication militante sur les inégalités.
Genre et subsistance
L’ancienne conseillère en communication présentait une réflexion croisée sur le féminisme de la subsistance4 avec une perspective du genre. Geneviève Pruvost, chercheuse en France au CEMS-EHESS, développe et explique le concept de féminisme de la subsistance par ce que les besoins les plus élémentaires de subsistance (ici, dans le sens de subvenir à ses besoins) et l’aspect écologique de la durabilité devraient d’après elle être partie intégrante du féminisme (NDLR, p.30).
Ce que Mélanie Guillemette met en avant dans sa communication, c’est la puissance d’action des femmes qui caractérise ce féminisme, dont la finalité en quelques sortes serait de sortir du paradigme actuel d’une domination masculine par la réappropriation d’un pouvoir politique du quotidien. On retrouve en écho ses sujets d’études universitaires, qui se concentrent sur le rapport à la distribution du temps libre et l’écoféminisme, et qui entrent de facto en conflit avec la quotidienneté telle qu’elle est aujourd’hui.

- La crise écologique de la raison, V. Plumwood, 2002. ↩︎
- The Other Dimension of Caring Thinking, Sharp, 2014. ↩︎
- La subsistance : une perspective écoféministe, Mies, M., & Bennholdt-Thomsen, V., Editions La lenteur, 2022. ↩︎
- Pruvost, G. (2019) . Penser l’écoféminisme Féminisme de la subsistance et écoféminisme vernaculaire. Travail, genre et sociétés, n° 42(2), 29-47. ↩︎