Après une semaine de grande fête, le très attendu Carnaval de Rio a pris fin le 4 mars dernier. L’école de samba Portela a été sacrée gagnante, mettant ainsi fin à 33 ans de malédiction. Avec 22 victoires, l’école la plus titrée de l’histoire n’avait pas gagné depuis 1984. L’évènement de renommée mondiale s’est déroulé au rythme de la samba, avec toutefois, quelques teintes politiques.
Le Carnaval de Rio, c’est la fête, les paillettes, les costumes affriolants, les airs endiablés de la samba… mais pas seulement. En effet, derrière la joyeuse humeur, le spectacle annuel est une occasion pour les Brésiliens d’exprimer leurs critiques contre le gouvernement. En témoigne le thème choisi par l’école Sao Clemente: la vanité. Plus précisément, elle fait référence à la chute de Nicolas Fouquet, ancien surintendant des finances de Louis XIV. Ce dernier, propriétaire du prestigieux château de Vaux-le-Vicomte, avait invité le Roi-Soleil à un somptueux banquet: mais mal lui en a pris, car il finira emprisonné, accusé de détournement de fonds. On remarquera le clin d’œil à la classe politique brésilienne actuelle.
Un véritable feuilleton national, riche en rebondissements, s’est déroulé pendant les trois dernières années. La corruption a éclaté à la suite des révélations sur un vaste réseau de pots-de-vin qui aurait financé les campagnes de Dilma Rousseff, ancienne présidente, destituée depuis. Des millions de dollars auraient été versés à de hauts dirigeants de l’entreprise pétrolière Petrobras, ainsi qu’aux géants brésiliens des bâtiments et travaux publics (BTP), renflouant ensuite cet argent dans la campagne présidentielle.
Le scandale Petrobras éclate: les démissions de ministres se suivent, des dizaines de chefs d’entreprises sont mis sous les verrous. L’affaire est loin de toucher à sa fin avec le passage au pouvoir du président conservateur Michel Temer, les accusations révélant mois après mois un système de corruption tentaculaire.
Depuis 2015, la situation économique du Brésil ne semble toujours pas s’améliorer, le pays traverse une interminable récession. D’ailleurs, les infrastructures des Jeux Olympiques de l’été dernier tombent déjà en ruines, faute de ressources financières pour les entretenir.
Depuis 2015, la situation économique et politique du Brésil ne semble toujours pas s’améliorer.
Un Carnaval en crise
Face aux politiques d’austérité, le Carnaval ne fait pas figure d’exception. Outre les deux graves accidents qui ont assombri l’ambiance de la fête, les participants ont dû rivaliser d’idées pour parer aux ressources financières restreintes. Aussi, les écoles de danse ont recyclé d’anciens costumes pour continuer à participer au Carnaval.
Certaines écoles peinent à percevoir des subventions. Pour beaucoup, elles dépendent des commanditaires, mais ces derniers se font de plus en plus rares.
Les restrictions budgétaires paraissent également dans l’organisation même de l’évènement. Cette année, 451 blocos (cortèges musicaux qui peuvent attirer des milliers de fêtards) ont défilé, alors que l’année dernière, leur nombre s’élevait à 505. Même constat hors du centre de Rio: pas moins de 37 villes ont annulé les festivités pour des raisons financières ou de sécurité.
Une polémique a d’ailleurs éclaté au sein même du Carnaval. Traditionnellement, le coup d’envoi est donné par le Roi Momo, qui brandit l’énorme clé symbolique de la ville de Rio. Cette fameuse clé doit être remise par le maire dans le mythique Sambodrome, grand stade où ont lieu les principaux défilés. Mais surprise, ce dernier ne s’y est pas rendu, et il a finalement été remplacé par son premier adjoint. Une absence des plus compréhensibles lorsqu’on sait que le maire Marcello Crivella, élu en octobre dernier, est évangélique et donc peu enclin à ce genre de célébrations.
Outre les deux accidents qui ont assombri l’ambiance de fête, les participants ont dû rivaliser d’idées pour parer aux ressources financières restreintes.
Danser pour oublier?
La fête nationale réunit chaque année des dizaines de milliers de spectateurs et d’étrangers, mais derrière les paillettes, les écoles de samba n’ont pas le droit à l’erreur. Lors du concours, les équipes défilent devant un jury sévère, qui évalue tant le char que les costumes et observe les moindres détails.
Les écoles de samba sont réparties sous forme de divisions. La première bénéficie du meilleur traitement. Le Grupo Especial perçoit environ 2,46 millions de dollars canadiens de la part de la LIESA (Ligua Indepedente das Escolas de Rio de Janeiro), de la mairie et des droits de diffusion à la télévision.
Le sort des autres divisions est moins enviable, puisque les subventions se font moindres. La deuxième division perçoit trois fois moins de ressources financières que la première. Du troisième au cinquième échelon, les écoles ne défilent pas au Sambodrome, mais dans une rue des quartiers populaires situés au nord de Rio.
Malgré le temps de crise que connaissent nombre d’habitants, le Carnaval est un évènement rassembleur et continue d’être un symbole festif important. Cet évènement incontournable au Brésil permet de mettre entre parenthèses, pour un temps, les bouleversements dans la vie politique, et la corruption qui gangrène l’économie du pays.