Présenté en avant-première lors de la 74e édition du Festival de Cannes, Drive My Car (Doraibu mai kā ,2021), est le dernier long-métrage du réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi. Basé sur la nouvelle du même nom de l’écrivain Haruki Murakami, et co-écrit par Tamkamasa Oe et Kyusuke Hamaguchi, le film culmine de nombreuses nominations dans bon nombre de festivals. C’est notamment le cas du Festival de Cannes où le il a été choisi au sein de la sélection officielle. Malgré cette nomination c’est le long-métrage Titane (2021) de Julia Ducournau qui a obtenu la Palme d’Or, choix plus que discutable si vous voulez mon avis. En plus d’avoir été en nomination à Cannes, le film a été sélectionné dans quatre catégories lors de la prochaine cérémonie des Oscars, dont meilleur film, meilleure réalisation, meilleur film international ainsi que meilleur scénario adapté.
Réalisateur de plusieurs courts-métrages dont I Live Thee For Good (2009) et de Heaven Is Still Far Away (2016) ainsi que de nombreux longs-métrages tels que Happy Hour (2015), Wife of a Spy (2020) et Wheel of Fortune and Fantasy(2021), il nous propose cette fois, un récit sur le deuil et la place de l’art comme outil de reconstruction identitaire. Plus particulièrement, l’auteur nous propose une réflexion sur la place de l’art comme méthode cathartique.
Drive My Car, un « road movie » existentiel
À la suite du décès inattendu de son épouse, Yūsuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima), un acteur et metteur en scène de théâtre accepte la direction d’une troupe dans un festival à Hiroshima. Il doit diriger la pièce Oncle Vania d’Anton Tchekhov, pièce qui deux ans auparavant l’avait forcé à prendre ses distances des planches. À son arrivée à Hiroshima, et malgré son refus, la compagnie théâtrale lui assigne une chauffeuse, Misaki (Tōko Miura). Au fil des nombreuses scènes en voiture, les deux individus vont partager leurs blessures et s’ouvrir à l’autre.
Sous forme d’un « road movie » existentiel, le metteur en scène endeuillé voit en la jeune femme sa fillette décédée plusieurs années auparavant. De son côté, la jeune femme de 23 ans éprouve certains ressentiments à l’égard des circonstances de la mort de sa mère. Au fil de leurs discussions, les deux êtres vont développer une relation intime et réparatrice où la présence de l’autre va permettre aux personnages de reconnecter avec le monde et de traverser les différentes épreuves du deuil.
Drive My Car, un récit sur l’acceptation
À la suite d’une représentation de la pièce En attendant Godot, son épouse Oto (Reika Kirishima) introduit Kōji Takatsuki (Masaki Okada), un jeune acteur de talent, à son époux. Un jour, alors qu’il rentre chez lui, il aperçoit sa femme et un jeune homme en pleins ébats sexuels. Au lieu de confronter celle-ci, il décide de quitter en silence sans que ceux-ci ne constatent sa présence. Quelques semaines plus tard, Oto décède d’une hémorragie cérébrale laissant Yūsuke sans réponse concernant l’infidélité de son épouse. Hamaguchi aborde avec intelligence et douceur la question de l’infidélité et de l’amour aveugle qu’une personne porte parfois à l’égard de l’être aimé. Malgré cette infidélité, Yūsuke accepte la situation de peur de perdre son épouse, jugeant que leur amour et leur complicité sont plus forts que tout. Cependant, près de deux ans après la mort de son épouse, les confessions de Kōji vont venir ébranler ses certitudes, lorsque celui-ci évoque l’amour et la tendresse que la défunte épouse éprouvait peut-être envers son amant. Hamaguchi transpose parfaitement cette émotion d’impuissance face à l’incertitude et à cette difficulté qu’est l’acceptation dans le silence.
Drive My Car, l’art comme catharsis
L’une des thématiques les plus intéressantes présentes dans Drive My Car, est l’utilisation de l’art comme catharsis. La reconstruction de l’identité et l’acception de la mort se vivent grâce à la création artistique et à l’engagement de l’artiste envers l’art. Ce n’est pas sans raison que le metteur en scène doit reprendre son rôle d’acteur dans la pièce Oncle Vania d’Anton Tchekhov où l’une des principales thématiques est l’illusion accordée à l’amour comme source du bonheur. C’est par le jeu théâtral que Yūsuke est en mesure de vivre et de transposer ses émotions. Il s’agit donc pour l’artiste d’utiliser l’art comme méthode cathartique. Le metteur en scène se voit donc dans l’obligation de reprendre son rôle d’acteur, acteur d’une pièce, mais aussi symboliquement, de sa vie.
En somme, Drive My Car est un excellent film que je conseille fortement, et ce malgré sa durée de trois heures. Ryusuke Hamaguchi nous offre un magnifique récit qui aborde avec intelligence et douceur, la complexité de la psychologie humaine en abordant la question de l’acceptation, du deuil, mais aussi de l’importance de l’art dans nos vies.
À la lumière des nombreux films en nomination dont Julie, (en 12 chapitres) (2021) de Joachim Trier ainsi que La Main de Dieu (2021) de Paolo Sorrentino, je crois être en mesure d’affirmer que Drive My Car devrait remporter l’Oscar du meilleur film international lors de la prochaine cérémonie qui aura lieu le 27 mars prochain. https://ouvoir.ca/2021/drive-my-car
Suggestions de la semaine:
1- Your Sister’s Sister, Lynn Shelton (2011) https://ouvoir.ca/2011/your-sister-s-sister
2- Spider-Man: No Way Home, Jon Watts (2021) https://ouvoir.ca/2021/spider-man-no-way-home
3- The Adam Projetc, Shawn Levy (2022) https://ouvoir.ca/2022/the-adam-project
4- Oldboy, Park Chan-wook (2003) https://ouvoir.ca/2003/15-ans-voles
5- Les démons, Philippe Lesage (2015) https://ouvoir.ca/2015/les-demons