Présenté en première mondiale lors du Karlovy Vary International Film Festival (KVIFF) en juillet 2011, le long-métrage coréalisé par Simon Lavoie et Mathieu Denis, Laurentie (2011) nous propose une excellente réflexion concernant la notion d’identité nationale et personnelle. Œuvre marquante du cinéma indépendant québécois, le film fut présenté sur un seul écran dans la région de Montréal à sa sortie en raison de sa classification 18 ans et plus.
Réalisateur de trois longs-métrages dont Corbo (2015) et Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau (2016), Mathieu Denis nous propose une œuvre marquée par les enjeux de la question de l’identité nationale. De son côté, Simon Lavoie nous propose des œuvres artistiques et expérimentales nous rappelant l’esthétisme du cinéma de Béla Tarr (Satantango, 1994) ou de Pawel Pawlikowski (Cold War, 2018). C’est notamment lui qui signe la réalisation du film La petite fille qui aimait trop les allumettes (2017) ainsi que Nulle Trace (2021).
Dans Laurentie, Mathieu Denis et Simon Lavoie nous offre un récit empreint d’un profond malaise. Entre malaise existentielle et malaise identitaire, les réalisateurs nous dépeignent une vision pessimiste d’une génération québécoise en quête d’identité personnelle et nationale. Laurentie, c’est l’histoire de Louis (Emmanuel Schwartz), un jeune montréalais de 28 ans qui se désole d’habiter dans une «Ostie de province de merde». Malgré la présence de collègues et de deux amis, Louis souffre de solitude et d’un profond vide existentiel. La vie de celui-ci se voit chambouler lorsqu’il fait la connaissance de son nouveau voisin de pallier, Jay Kashyap (Jade Hassouné) un jeune homme anglophone dont la vie semble parfaite. Très rapidement, la présence de Jay lui rappelle sa propre déchéance et l’obsession et la perversion s’empare de Louis afin de nous offrir une finale névrotique.
Laurentie, un film indépendant comme reflet d’une réalité trash
Profondément ancré dans le mal-être du personnage de Louis, Laurentie nous propose un reflet sombre et pessimiste de la société québécoise. Abordant les thématiques de la dépression et de la solitude, Simon Lavoie et Mathieu Denis sont en mesure de bien représenter un être en pleine crise existentielle. Le film est présenté sous forme de longs plans-séquences marqués par une lenteur exacerbée. Filmé en format super 16mm, l’image qui nous est présentée est typique du cinéma indépendant. En ce sens, l’ambiance lourde qui est créée en raison de la lenteur des plans séquence et l’image typique des films à petit budget sont les forces de ce film, puisque le spectateur est en mesure de ressentir l’angoisse existentielle du personnage. C’est notamment le cas lors des scènes de contemplation où l’utilisation de la pièce classique Impromtu de Jean Sibelius permet à Emmanuel Schwartz de démontrer ses grands talents d’interprétation.
Le film est classé 18 ans et plus en raison de nombreuses scènes de sexualité explicites et empreinte de malaises. À de plusieurs reprises, le personnage de Louis tente de combler son vide existentiel et émotionnel par la sexualité. Cette approche de la sexualité dans le film est représentée par des scènes dans des bars de danseuses, mais aussi de longues scènes de masturbation non censurées. En ce sens, Laurentie s’inscrit dans cette vague du cinéma québécois qui tente de représenter la réalité de manière fidèle et sans censure.
Laurentie, film engagé face au mal être identitaire
En plus de mettre en scène un personnage en pleine crise existentielle, Laurentie pose un regard critique sur une génération de québécois empreint d’un mal-être identitaire. Simon Lavoie et Mathieu Denis nous proposent donc une vision parfois réactionnaire, afin d’aborder la question de l’identité québécoise. Il s’agit donc d’un film qui sans faire la promotion de la xénophobie et de la haine de l’autre pose un regard critique sur l’ignorance et le repli des Québécois de souche à l’égard des allophones et des anglophones à Montréal.
De nombreuses scènes portent sur les tensions linguistiques qui opposent les francophones et les anglophones de Montréal. L’obsession qu’a Louis envers son voisin anglophone est l’une des manifestations de cette xénophobie à l’égard des anglophones de Montréal. Malgré tout, le film demeure neutre sur ce propos, puisque le personnage de Louis représente cette tristesse liée à la perte de l’identité québécoise francophone, mais aussi cette haine qui est engendrée par la perte de nos repères identitaire.
Laurentie, ode à la poésie québécoise
Laurentie est un film sobre et pessimiste, cependant Simon Lavoie et Mathieu Denis sont en mesure de nous offrir de la lumière malgré l’obscurité. L’utilisation des poèmes d’Anne Hébert, de Marie Uguay, de Gatien Lapointe, de Saint Denys-Garneau ainsi que d’Hubert Aquin permet d’alléger par moment le propos. Plus particulièrement, l’utilisation de la poésie nous ramène à la beauté de la culture québécoise. Malgré la présence d’images parfois violentes ou sexuellement explicites, le film est entrecoupé de cette beauté qu’est la poésie.
En somme, Laurentie est un excellent film que je conseille fortement. Il s’agit d’une puissante critique sociale qui aborde avec intelligence, la question de l’identité nationale.
Suggestions de la semaine :
1- In The Mood For Love, Wong Kar-Wai (2000)
2- Gurov et Anna, Rafaël Ouellet (2014)
3- La déesse des mouches à feu, Anaïs Barbeau-Lavalette (2020)
4- Ida, Pawel Pawlikowski (2013)
5- Halloween Kills, David Gordon Green (2021)