La question se pose : Trois-Rivières est-elle en bonne santé culturelle? On aura certainement tendance à répondre par l’affirmative, tant est palpable la vitalité de l’offre culturelle locale.
On sent en effet que les institutions clé de la production et diffusion de la culture d’ici sont des organismes bien en vie qui affichent une bonne mine. La Corporation de développement culturel de la Ville, en particulier, assume sereinement son rôle fédérateur dans la production et la coordination d’évènements. De plus, la Corpo ne laisse transparaître aucune angoisse dans sa nouvelle cohabitation avec son ambitieuse demi-sœur, la Corporation de l’amphithéâtre, qui promet de faire passer Trois-Rivières dans les grandes ligues nord-américaines sur le plan culturel. De son côté, Culture Mauricie s’affaire à réaliser son mandat de concertation régionale, au moyen de nombreuses initiatives structurantes, notamment avec l’industrie touristique.
Tout autour, les festivals, biennales et autres organisations culturelles récurrentes ont le teint rose d’individus bien nourris et épanouis, comme en témoignent les médias qui couvrent systématiquement leurs activités.
Mais derrière cette peau d’apparence saine, un examen attentif saura détecter certains indices de problèmes éventuels, qu’il serait indiqué de traiter rapidement. Diagnostic de quelques symptômes inquiétants.
Hypertrophie testiculaire
L’été dernier, une nouvelle comédie musicale foulait les planches de la salle J.-Antonio-Thompson. Impossible d’avoir manqué son arrivée dans le paysage médiatique, T’estimo s’annonçait comme digne successeur à Showtime. (Showtime, au cas où vous souffriez de sévères troubles de mémoire, est le Broue trifluvien, une comédie musicale qui a été présentée pendant 10 saisons.)
Le spectacle est une coproduction de la Corpo de développement culturel et des Productions Fidel, dont le vice-président est Stéphane Boileau, également directeur artistique de T’estimo et, autre emploi digne de mention, directeur général du FestiVoix. Aussi solidement encadré, T’estimo était destiné à se faire des couilles en or.
L’appareil publicitaire pour promouvoir T’estimo a été d’une envergure rarement connue en Mauricie. Battage publicitaire dans tous les médias, beaucoup d’argent investi. Au final, selon les Productions Fidel, une quinzaine de milliers de spectateurs ont assisté aux 30 représentations du spectacle, pour un ratio d’occupation de 66%. Une indiscutable réussite, sous cet angle.
Ventre plat… et vide
Or, parmi les stratégies de promotion utilisées, il y en a une qui m’apparait absolument inacceptable. Le Nouvelliste relatait, le 8 juillet dernier, soit au lendemain de la toute première représentation de T’estimo, que le spectacle avait été bien accueilli par le public, mais que la journaliste ne pouvait émettre aucune critique du spectacle. L’article se bornait à recueillir les impressions d’après-spectacle du public.
Raison invoquée? L’équipe de production avait imposé «un embargo sur toute critique du spectacle de la part des médias» jusqu’au jeudi suivant, date de la première médiatique. Un embargo! Notez qu’on ne dit pas, par exemple, «on nous a demandé d’user de discrétion en attendant la première médiatique» ou autre formule qui laisse suggérer un minimum de respect pour le travail de journaliste. Nenon. Un embargo. Sidérant.
Comme ça, le show n’est pas prêt pour les médias mais il est ok pour le public? Allons donc! Je ne sais si c’est l’arrogance de l’équipe de production qui me choque le plus, ou l’à-plat-ventrisme de la rédaction du Nouvelliste d’avoir accédé à une telle requête. Est-il besoin de rappeler qu’un journaliste n’est pas un agent de communication à la solde d’une production, mais un professionnel dont le devoir est d’informer? Le journaliste n’est tout de même pas pour informer le public de ce que le public a pensé du spectacle, non? Un vox pop n’est pas un article de fond.
C’est complaisant. Ça m’écœure. Présentez-moi ça de tous les côtés, vous n’arriverez pas à me convaincre que cette situation est saine. Ce jeu d’influences est nocif pour la presse artistique, qu’on prend en otage pour la commercialisation du produit. Et ça témoigne d’un manque de confiance quant aux capacités du spectacle de s’imposer de lui-même, par lui-même. Alors, on sort le rouleau compresseur… qui supplante la presse.
Agoraphobie
Si la presse est à ce point liée par les gros producteurs culturels, comment espérer que la critique artistique puisse s’intéresser aux plus petits évènements diffusés un seul soir? Il ne reste plus de place! Or, on sait bien qu’il n’y a qu’une seule logique qui permette de faire augmenter le nombre de pages culturelles d’un journal : l’achat de publicité. Mais si presque tout l’espace est occupé par le compte-rendu des seules productions qui achètent de la pub, non seulement ces dernières bénéficient d’une double visibilité, mais les petits sont éternellement relégués aux brèves, sans photo, sans compte-rendu post-évènementiel.
Combien d’évènements auraient profité d’un article de fond au lieu d’un T’estimo sous embargo donnant lieu à un texte creux? Quelles chances, dans ces circonstances, pour un événement autoproduit de faire l’objet d’une critique? Presque nulles. Conséquence : les journalistes n’y assisteront même pas.
Traitement
L’espace manque dans le cadre de cette chronique pour approfondir un sujet aussi vaste, qui nécessite force nuances et exemples. J’y reviendrai probablement dans une chronique ultérieure. Pour l’heure, je m’en voudrais de ne citer à procès que Le Nouvelliste. L’hebdomadaire Voir Mauricie déçoit, lui aussi, régulièrement. Il a toutefois l’avantage de son blogue, libre des contraintes du papier, où de l’information parallèle est disponible. L’information de l’Hebdo Journal est elle aussi bonifiée par son blogue. Mais, avec un seul poste de journaliste, Voir subit les aléas des disponibilités et de l’intérêt fluctuant de sa rédaction. Le changement de garde récent à ce poste pourrait donner lieu à un déplacement de son foyer d’attention vers la culture alternative. À la télévision, malgré la qualité des journalistes en place, le temps d’antenne dédié à la culture est anémique. C’est pire encore à la radio commerciale.
Du côté des aidants naturels, il faut souligner le travail constant d’information réalisé à l’émission matinale de la Première chaîne de Radio-Canada, qui dispose de 3 heures quotidiennes pour couvrir les actualités culturelles et donner la parole aux artistes. L’émission LeZarts diffusée à Vox fait quant à elle preuve d’une belle curiosité à l’endroit des créateurs d’ici. La radio campus CFOU regorge de passionnés de culture.
Enfin, ce journal que vous tenez entre vos mains (ou lisez sur le Web) manifeste une présence soutenue depuis maintenant 6 ans dans les milieux artistiques. Son indépendance en fait un outil indispensable pour stimuler les habitudes culturelles et questionner les pratiques dominantes. Ceci se vérifie en effet par une simple question : cette chronique que je signe, quel autre journal la publierait?