Visions d’Anna: Créateur, ne vois-tu rien venir?

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Rien ne m’est plus chair que la création. Dans son ensemble. Dans ses lambeaux. Dans ses particules du soir qui flottent. Dans le néant des nébuleuses qu’elle berce en moi. Un étroit lien, tissé serré, en macramé, avec mon battant. Ils tambourinent à l’unisson tout en foutant le bordel dans mon esprit.

À première vue, pour écrire, il suffit seulement d’avoir du papier et un crayon. Et pourtant, il vous faut aussi un petit quelque chose de lumineux, une espèce d’étincelle, un filament créatif, vous voyez? Bien entendu, pour qu’il y ait création, il doit y avoir inspiration, et pour qu’il y ait inspiration, il doit y avoir stimulation. Comment peut-on stimuler notre esprit créateur? La réponse est fort simple: par des jeux! Bon d’accord, on appelle plutôt cela des exercices d’écriture. Penchons-nous sur les différents moyens qu’ont développés certains écrivains du XXe siècle français pour stimuler leur imagination.

Débutons avec des exercices concernant les lettres en soi. Tout d’abord, il y a le lipogramme. Il s’agit d’une figure de style qui consiste à produire un texte où une ou des lettres de l’alphabet seront exclues. Le roman emblématique du lipogramme est La Disparition de Georges Perec. En effet, son livre de 300 pages ne contient aucunement la lettre «e». Étant un adepte des contraintes littéraires, ce refus de l’une des six voyelles de l’alphabet est très représentatif de cette stimulation créative recherchée. D’ailleurs, Perec était un membre de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), un groupe formé de littéraires et de mathématiciens qui se réunissait pour réfléchir sur la notion de «contrainte» afin de développer des moyens d’encourager la création. De plus, écrire un texte en utilisant qu’une seule voyelle (monovocalisme), en écrire un où tous les mots commencent par la même lettre (tautogramme) ou encore écrire une seule phrase comportant toutes les lettres de l’alphabet (pangramme) consistent à se révéler comme étant tous des défis de taille pour l’imagination. Également membre de l’Oulipo et ancien membre du groupe surréaliste, Raymond Queneau est aussi un adepte de la stimulation créative. En effet, il est l’auteur de l’ouvrage intitulé Exercices de style, un livre qui raconte 99 fois la même histoire, mais de 99 façons différentes. Chacune des histoires est donc racontée selon un genre stylistique différent: onomatopée, zoologique, géométrique, vers libres, etc. Comme quoi la création peut prendre toutes sortes de formes!

En parlant de formes, poursuivons avec le calligramme. Il s’agit d’un poème disposé graphiquement sur une page tel un dessin représentant le sujet dans la plupart des cas. Le représentant en chef du calligramme est nul autre que Guillaume Apollinaire avec son recueil Calligrammes. Le poète stimulait doublement son imagination en alliant le visuel et la portée des mots. Il faisait de sa poésie, un art littéraire, mais aussi graphique: un alliage entre la littérature et la peinture. Le mouvement des mots provoqué par la structure poétique d’Apollinaire évoquait non seulement le courant futuriste, mais également le cubisme. Le collage, qui, par sa disposition graphique comme le calligramme, est un intéressant stimulant créatif. Ce dernier sera d’ailleurs repris par les dadaïstes et les surréalistes aux cubistes. Il s’agit d’une technique de création consistant à utiliser divers matériaux, comme des journaux, des livres, des cartes, des affiches, etc., afin de former un texte ou un message en découpant des fragments ou simplement des lettres de chacun des matériaux. Les calligrammes d’Apollinaire eurent donc une influence considérable sur les avant-gardes artistiques et littéraires du XXe siècle.

Il vous faut aussi un petit quelque chose de lumineux, une espèce d’étincelle, un filament créatif, vous voyez?

Complétons avec un moyen davantage populaire: l’écriture automatique. Cette dernière consiste à une méthode d’écriture libérée de la conscience et de la raison. Effectivement, il s’agit de se plonger dans un état passif, sans sujet préconçu, de faire abstraction de toutes règles de grammaire et de ne pas se préoccuper de la cohérence des mots. Il faut tout écrire ce qui vous passe par la tête et il ne faut pas vous relire. Certains seront plus productifs dans un état hypnotique ou d’autres sous l’influence de drogues. Naturellement, le surréalisme ne donne pas sa place pour ce qui est de cet exercice d’écriture. André Breton et Philippe Soupault, avec la création du recueil de textes Les Champs magnétiques, représentent la figure première de l’écriture automatique du XXe siècle français. De plus, l’invention du «cadavre exquis» s’inscrit dans la même tangente que l’automatisme d’écriture. Il s’agit d’un jeu collectif qui consiste à écrire un mot, un groupe de mots ou une phrase sur un bout de papier que l’auteur pliera ensuite, puis le passera au prochain qui en fera de même, et ce, jusqu’au moment où la feuille sera complètement pliée. La première phrase qui résulta de ce jeu fut: «Le cadavre – exquis – boira – le vin – nouveau», d’où le nom «cadavre exquis». Un jeu qui n’était, au départ, qu’un divertissement devint une façon d’explorer les ressources de l’inconscient. Quand la réalité ne suffit plus à stimuler notre esprit créateur, le rêve semble être une bonne alternative!

Ô lecteur, j’espère que cette chronique ne fut pas trop étourdissante. Il ne te reste plus qu’à tenter le coup et à envoyer promener ton syndrome de la page blanche!

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