
Crédit : Impro.LICSH
L’autrice, Camille Beauchemin, est l’improvisatrice qui a pris la parole lors de la Coupe Universitaire d’Improvisation (CUI) qui se déroulait à Trois-Rivières. Ce texte a été bâti autour d’expériences personnelles de joueuses qu’elle a côtoyées durant les 10 dernières années. Lors de la Journée internationale des droits de la femme, elle a eu envie d’écrire une lettre qu’elle aurait voulu lire quand elle commençait l’improvisation il y a 10 ans. La voici.
À toi, la nouvelle joueuse d’improvisation. À toi, la joueuse qui revient après un break. À toi, la joueuse qui vient de changer de ligue.
Je n’ai pas envie de te dire ça… mais bonne chance. Tu vas devoir être forte. Tu vas devoir travailler fort. Et tu vas devoir endurer milles blagues, commentaires et actions poches parce que… tu es une femme. « Une femme, c’est jamais aussi drôle qu’un homme » « Les femmes, vous êtes malaisantes quand vous faites des blagues » « Une femme, ça fait rire les femmes, un homme, ça fait rire tout le monde, donc on prend des femmes juste par principe » « Tu es la seule femme donc tu es automatiquement prise » « Tu es bonne parce que tu joues comme un homme » « Tu es capitaine parce qu’on avait besoin d’une capitaine féminine » « Vas faire la dramatique, tu es une femme donc tu es proche de tes émotions ». Tous de vrais commentaires, reçus par de vraies joueuses.
Puis en plus des commentaires, il y a les stéréotypes et les clichés d’improvisation: que les hommes sont automatiquement plus drôles. Que leurs idées sont meilleures. Que la femme a droit à trois rôles: La mère, la pute/bitch et la conne. Qu’une improvisation juste d’hommes, c’est bon, mais qu’une improvisation juste de femmes, on ne peut pas laisser aller ça. Il faut qu’un homme intervienne pour soutenir les joueuses. Qu’une femme qui fait une blague grivoise, c’est forcément parce qu’elle est « fuuulll sexuelle ». Qu’on ne peut pas avoir un seul prix réunissant tou.te.s les membres d’une ligue : non. Il faut le meilleur joueur et la meilleure joueuse. Parce qu’un homme et une femme, ce n’est pas au même niveau, ça ne se compare pas. Et sincèrement, en 2020, est-ce qu’on peut essayer d’être plus inclusif.ve.s que « joueur et joueuse »? Mais ça, c’est un autre débat et malheureusement, je dépasse déjà mon deux minutes.
Tout ça, ma chère joueuse, ce sont des stéréotypes contre lesquels tu vas devoir te battre, autant chez les autres que chez toi. Parce que oui, tu vas vouloir les suivre. Pour pogner. Pour faire rire le public. Pour te faire accepter par tes partenaires de jeu. Mais sais-tu quoi? Tu n’en a pas besoin. Ce qui te rend intéressante en tant que joueuse, c’est qui tu es.
Je te souhaite de le réaliser rapidement. Et tu sais quoi? Tu es chanceuse. Parce que tu n’es pas seule. Parce que de formidables improvisatrices t’ont débroussaillé une partie du chemin. Et parce que d’autres formidables improvisatrices sont prêtes à te soutenir. À te faire réaliser ton potentiel. À t’aider à surmonter les obstacles sur ton chemin.
Bon, c’est bien beau tout ça mais, en tant que ligue ou équipe, qu’est-ce qu’on peut faire pour trouver une solution au problème? Parlez à vos joueuses. Et quand je dis parlez, je veux dire ÉCOUTEZ. Attentivement. Parce qu’elles savent ce qui est problématique dans votre ligue et croyez-moi, elles en parlent entre elles. Et pendant qu’on y est, ça peut être un bon moment aussi de faire un petit « self-check » de votre ligue en questionnant tou.te.s vos membres. Une discussion que je vous invite à faire en privé ou en petits groupes, pour que les personnes interrogées puissent parler sans être interrompues ou jugées. Parce que si on veut grandir en tant qu’art de la scène, il faut ouvrir la discussion.