Dans ma façon de comprendre la réalité, un philosophe est une personne qui accorde la primauté à la raison. Cette même raison désigne notre capacité à connaitre. Définir l’être humain comme un Homo sapiens, c’est-à-dire un être qui connait, c’est reconnaitre que tout être humain est essentiellement un philosophe… ou, du moins, devrait l’être.
En est-il ainsi dans la vraie vie? Ne sommes-nous pas plutôt misologues? Comme l’aurait dit ma vénérable grand-mère, «voilà un mot à 300$». Que signifie-t-il? Il vient du grec misein, que nous pouvons traduire par «haïr», et de logos, qui signifie «raison». Il s’agit donc d’un sentiment de haine envers la raison. Est-il possible que, dans notre culture, le bon sens nous fasse souvent défaut et que nul ne se soucie de nous l’inculquer? Pire: est-il réaliste d’affirmer que, dans notre civilisation, tout est fait pour dévaloriser la raison?
Misologie dans la philo?
Selon certains spécialistes (probablement des philosophes), la philo est la base de la culture. La philo traditionnelle reconnait-elle l’importance de la raison? Voyons voir! Socrate, le père de cette philo, avait coutume de dire: «Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien». Pour une discipline qui veut s’attacher à la connaissance, n’est-ce pas désespérant? Son disciple, Platon, affirmera que «[l]e monde matériel n’est qu’une illusion». N’est-ce pas le genre de phrases que nous pourrions retrouver dans la bouche de résidents d’hôpitaux psychiatriques? Ce très rapide survol de la philo classique nous démontre qu’il est possible d’empêcher les gens de raisonner en leur enseignant l’Idéalisme de Platon.
Misologie de l’Église?
La deuxième base de notre culture, en réalité la première, celle qui s’est asservi la philo, est la religion. L’Église est-elle misologue? Sans l’ombre d’un doute! L’Église condamne l’usage de la raison. La racine de cette haine remonte aussi loin que l’Ancien Testament: dès la Genèse, le péché originel consiste à gouter le fruit de l’arbre de la connaissance. N’est-ce pas une façon d’empêcher la connaissance? Donc de nous servir de notre raison? Cette interdiction me semble aller de soi: qui, se servant de sa raison, acceptera les mythes, qu’ils soient juifs, chrétiens, ou autres?
Pendant tout le Moyen Âge, l’Église ayant triomphé, la foi l’a emportée sur la raison dans l’accès à la vérité. Pendant tout ce temps, pour l’Église, la raison n’était pas une source de vérité, mais un simple outil de justification de la foi. Sommes-nous complètement sortis de ces ténèbres? Ou la culture chrétienne nous imprègne-t-elle toujours?
Misologie aujourd’hui?
Nous sommes persuadés que le monde moderne est obsédé par la rationalité. Est-ce le cas? Jusqu’à un certain point, oui. Mais que dire de courants littéraires comme le romantisme, le surréalisme? Du fait que 90% de la population mondiale est composée de croyants? De la superstition qui confond la frontière entre le réel et l’imaginaire… tout comme la religion? De la pédagogie scolaire qui incite les élèves à se servir de leur mémoire plutôt que de leur raison? De ces multinationales qui privent d’emploi des milliers de travailleurs, de façon à augmenter leurs profits… tout en affirmant qu’elles «rationalisent»: cela va-t-il nous faire apprécier la raison… lorsqu’elle est ainsi asservie au capitalisme? Décidément, nous n’avons pas fini de déraisonner!
Idée
Quel est le lien de la raison à l’idée? La raison représente notre capacité de connaitre… et l’idée est à la connaissance ce que l’atome est à la matière (du moins dans la conception des Anciens): l’élément de base. Qu’est-ce qui fait l’importance des idées? C’est que peu importe ce que nous faisons, tout commence dans notre cerveau… par une idée. Ce sont les idées qui dirigent nos vies. Les idées sont le moteur qui nous fait bouger.
Tout est jugé
Nos comportements suivent nos idées. Ces idées proviennent-elles de la réflexion? Ou d’un Livre soi-disant révélé? Mon propos n’est pas d’affirmer que nous suivons des idées irrationnelles dans la totalité de notre vie. Au contraire, dans certains domaines, comme l’alimentation ou les transports, nous pouvons être très rationnels. Mais qu’en est-il des grandes questions? Par exemple, quand une personne meurt, croyons-nous qu’elle se retrouvera au ciel, en enfer? Un domaine crucial pour notre joie de vivre est la sexualité: mettons-nous en pratique des idées rationnelles, conformes à la nature? Ou des idées complètement cinglées? Que penser, il y a à peine quelques générations, de la jeune fille enceinte, rejetée par ses parents, ses amis, parfois par tout un village… à cause de son «péché»? Et aujourd’hui, que penser de ces gens qui sont tout croches rien qu’à dire le mot «vagin», à parler de masturbation, de ceux qui se réunissent pour rosser un homo? Ces personnes ont-elles murement réfléchi? Ou sont-elles «téléguidées» par des idées religieuses?
Suis-je une personne autonome? Une marionnette?
Une amie me demande souvent: «Pourquoi, dans certaines circonstances, la stupidité des gens dépasse-t-elle l’entendement?» Une des raisons n’est-elle pas que, quand il y a croyance, il n’y a aucune place pour le savoir? Nous nous prenons pour une civilisation évoluée?
Et si nous faisions erreur? Si nous étions une civilisation moyenâgeuse? Actuellement, la société nous interdit toute vraie philo, toute vraie éducation. Nous voulons devenir des êtres humains libres? Sachons que derrière tout choix, il y a une connaissance, c’est-à-dire une idée. Où puiserons-nous nos idées: dans la religion? Ou dans notre raison?