
Dans cette chronique communautaire, je poursuis mon échange avec M. Marc Benoit, le coordonnateur du ROÉPAM– le Regroupement des organismes d’éducation populaire autonome de la Mauricie. Lors de notre entretien, il a insisté sur la «transformation sociale» et «la défense des droits sociaux», au cœur de la philosophie des organisations regroupées sous le grand chapeau de l’éducation populaire. De notre dialogue, j’ai conservé quelques extraits significatifs me permettant d’alimenter ma réflexion sur le grand thème de la transformation sociale.
Commençons une mise au point communicationnelle. De façon simplifiée, la «communication» est à la fois un contenu et une relation, mais c’est la relation qui primera sur le contenu échangé. En effet, une information est toujours transmise dans le cadre d’une relation particulière. Prenons un exemple concret ; le contenu d’un échange entre deux individus qui serait : «je t’aime». Si ce message est émis par l’enfant de la personne qui le reçoit, par son conjoint, ou au contraire par un agresseur potentiel, ce même message «je t’aime» n’aura ni le même sens, ni la même fonction, ni le même effet, évidemment. Ce contenu simple est ainsi intimement lié à une relation préalablement «construite» qui détermine le sens de l’information transmise.
De la même façon, nos systèmes sociaux sont eux aussi des phénomènes communicationnels encadrés et balisés par des relations humaines historiquement situées. En ce moment précis de notre histoire, les créateurs de tous nos réseaux d’échange d’informations et de tous nos systèmes de gérances humaines sont : des hommes blancs d’âge moyen, au statut social élevé et déconfessionnalisé. Ce que ça implique ? D’un point de vue communicationnel, cela implique que leur imaginaire détermine le sens de toutes nos relations humaines communes. Le contenu de nos échanges sociaux «décisionnels» est donc balisé par cette relation privilégiée (d’hommes blancs et riches), ce qui se traduira concrètement en structures sociales répondant aux besoins et intérêts de ces hommes au pouvoir[1]. De par leur positionnement hiérarchique au centre de nos relations communes, ce sont presque exclusivement des hommes blancs et riches qui détiennent les termes de nos relations. Ils déterminent ainsi quel est le «bien commun» de tout le monde ainsi que toutes les structures en place pour le maintenir et le faciliter. Toutes les autres catégories sociales devront nécessairement lutter pour conquérir une voix dans cette arène de privilégiés et y imposer la prise en considération de ses besoins et de ses intérêts (qui se traduiront en institutions sociales).

Mais en quoi la transformation sociale est liée aux organismes communautaires qui œuvrent en défense collective des droits sociaux ?
Souvenons-nous que le ROÉPAM s’adresse principalement aux équipes de travail de ses organismes membres. «Dans le cadre de nos activités régulières, nous sommes beaucoup dans la réflexion. Outiller les organisations prime, car la transformation sociale se déroule avant tout dans l’esprit de la population. Si la population réfléchit différemment, qu’elle a conscience des enjeux et désire transformer quelque chose dans les structures de notre société, comme mouvement, ça devient les causes qui nous tiennent à cœur.»
Le ROÉPAM est ainsi proche de la transformation, d’une approche structurelle qui dénonce les inégalités. «Dans nos réflexions, nous partons souvent du pire des cas en nous basant sur l’enjeu de bien commun, afin de protéger tout le monde» m’explique M Benoit.
Avoir une «voix au chapitre », c’est d’abord être vu, puis entendu, puis respecté dans la détermination de ses besoins et de ses intérêts qui se transformeront en structures sociales de soutien. Il est ici question de reconnaissance et de respect, car un système relationnel «qui ne t’aime pas» t’imposera sa propre vision du monde.
Être «vulnérable» finalement, c’est être invisibilisé par un système relationnel bien balisé qui crée «les structures qui organisent» tout le monde. Être «invisible», c’est malheureusement être aussi sur-visible du point de vue de ses problématiques sociales. C’est être pointé du doigt dans la sphère publique. Pourquoi ? Parce que les plus grands «exclu.e.s» de nos relations de domination ont une montagne de difficultés qui leur tombent sur la tête. Le système en place n’a aucune bienveillance à l’égard de leur légitimité à intégrer le lieu de notre pouvoir relationnel. Pire encore, il leur dresse une série de barrières bureaucratiques de plus en plus complexes pour stopper leur marche vers le pouvoir. Le système en place, basé sur la norme commune qui légitimise le fait d’être un homme blanc, riche et laïcisé pour être au pouvoir et décider de tout, impose de toutes ses forces à ses «victimes» le syndrome de Stockolm. Elles doivent ainsi se soumettre à ce sadisme institutionnalisé qui bafoue ses droits humains élémentaires de décider pour elles-même, tout en complexifiant son cheminement vers la reprise de pouvoir sur sa vie. De plus, les victimes d’un système vont s’approprier son idéal (mâle, blanc, riche, laïque) en plus de sa façon de classifier «à la baisse» leurs différences, ce qui va créer le terreau fertile d’une violence intra-fratrie.
Étant donné ces prises de conscience… Procédons par antagonisme pour dénicher qui devrait être la plus grande perdante de «notre» relation commune ? La pire des «pas chanceuse» de notre système actuel ? C’est la femme immigrante musulmane voilée arabe et sans le sou. Elle est donc exclue de la relation commune sur la base : 1- de son genre, 2- de sa confession religieuse 3- de sa race et de 4- sa catégorie sociale. Ses chances de voir ses besoins et ses intérêts concrétisées dans nos structures sociales sont donc quasi nulles. Et pour preuve… Au Québec, elle n’a plus le droit d’œuvrer dans nos institutions publiques québécoises. Viennent ensuite les femmes autochtones (elle a été si basse dans la classification sociale qu’il était permis de la tuer et de la violer impunément), les femmes noires ainsi que les personnes racisées, pauvres et/ou non éduquées (lisez les trolls de vos réseaux sociaux pour corroborer mes dires). Étant donné le poids des problématiques systématiques diverses que la diversité a à surmonter dans nos systèmes actuels, difficile de lutter pour conquérir une place dans cette relation commune qui exclue presque tout dans son imaginaire d’idéal humain.
L’histoire nous l’a démontré, aucun acquis ne s’obtient sans lutte ni sans soutien collectif. Rappelons-nous que c’est la lutte des féministes frustrées du Québec qui a grandement amélioré nos institutions, et ce, au bénéfice de tou.te.s. De façon plus harmonieuse, un système qui œuvre effectivement pour le «bien commun» se devrait d’être dynamique et dialogique pour lui permettre de se transformer à la mesure et en fonction des besoins et des intérêts de chacune de ses constituantes. Rien n’est perdu et les luttes du mouvement communautaire ne sont pas vaines. Je vous laisse sur une citation de M. Benoit : «Lorsqu’on s’organise, qu’on discute, on finit par comprendre que nous avons beaucoup d’impact et que quelques personnes conscientes peuvent changer les choses. Parfois, les changements sont lents, mais ils progressent et c’est comme ça qu’une société évolue.» Bonne continuité !
[1] Le pouvoir dans nos structures d’organisation sociales sera décrit ici en tant que processus permettant à une ou à plusieurs personnes d’avoir le droit de voir concrétisés ses besoins et ses intérêts dans son environnement immédiat. À titre d’exemple, il est aisé d’analyser les relations de pouvoir dans l’organisation de la structure familiale. Elle sera conçue de façon à répondre aux besoins et aux intérêts de la ou des personnes qui détiennent le plus de pouvoir familial. (Et oui … si vous êtes plutôt «normaux», ce sont vos enfants qui obtiennent le plus de pouvoir dans vos foyers !)