
Par l’entremise de ce «Clin d’œil communautaire», j’irai cogner aux portes des organisations communautaires qui œuvrent tout autour de nous dans la collectivité. Il s’agit d’une fourmilière vivante d’interventions sociales, de combats et d’actions concertées qui interviennent auprès de la population en général, mais surtout auprès des collectivités «d’oublié.e.s» ou «d’exclu.e.s» de notre système actuel. En matière de recherche universitaire, ces organismes sociaux sont des terreaux fertiles de connaissances du terrain bien ancrées dans la communauté. Je compte ainsi aller à leur rencontre pour les connaître d’une part, mais aussi pour donner la parole à ces intervenant.e.s communautaires aux voix multiples qui agissent, luttent et éduquent.
Ma première visite est celle de l’organisme COMSEP (Centre d’organisation mauricien de services et d’éducation populaire). Surtout, j’y fais la rencontre d’une des piliers du milieu communautaire : Mme Sylvie Tardif, coordonnatrice et co-fondatrice de l’organisation.
Lorsque j’ouvre la porte de COMSEP, l’ambiance cacophonique mais organisée qui règne à l’intérieur de ce grand immeuble au 1060 de la rue Saint-François-Xavier à Trois-Rivières me surprend toujours un peu. Comme à chaque fois, un.e usager.ère du centre m’aborde gentiment pour m’offrir son aide. Des gens aux allures diverses circulent ici et là le long des corridors aux portes peintes de toutes les couleurs. Sur mon passage, la porte ouverte d’un atelier en alphabétisation me laisse entrevoir une femme en hijab, concentrée sur sa table de travail malgré la discussion animée du reste des participant.e.s. La cafétéria à la nourriture bon marché — mais surtout délicieuse — qui sert aussi de tremplin pour l’insertion à l’emploi, est presque toujours pleine, les employé.es et usager.ère.s joyeux.ses.
«Tu es pauvre parce que tu ne sais pas beaucoup lire et écrire, donc tu n’as pas de diplôme. Tu n’as pas de diplôme, donc tu es pauvre.»
-SYLVIE TARDIF, SUR LE CERCLE VICIEUX DE LA PAUVRETÉ ET L’ANALPHABÉTISME
La mission première que s’est donnée l’organisation est de regrouper les personnes et les familles en situation de pauvreté de Trois-Rivières pour ensuite les amener à améliorer leurs conditions de vie. Mme Tardif souligne que l’analphabétisme — la difficulté de lecture et d’écriture — qui, dans certains quartiers de Trois-Rivières, avoisine les 40% de la population, est aussi une lutte à la pauvreté. «C’est un cercle vicieux. Tu es pauvre parce que tu ne sais pas beaucoup lire et écrire, donc tu n’as pas de diplôme. Tu n’as pas de diplôme, donc tu es pauvre», m’explique-t-elle.
Les approches préconisées par COMSEP sont des approches d’alphabétisation conscientisante, d’éducation populaire. «Lorsque nous réalisons des ateliers d’alphabétisation-conscientisation, il ne s’agit pas seulement de donner de l’information, mais aussi de prendre conscience d’un problème. L’analyser pour ensuite poser un geste concret de changement.»
Dans le type d’éducation préconisé à COMSEP, les animateur.trice.s n’imposent pas leur vision. C’est à partir des besoins émis par les participant.e.s. qu’il.elle.s établissent des liens, élaboreront des actions communes. «Nous sommes toujours ouvert.e.s au développement. Il.elle.s désiraient des emplois, car avoir un métier, c’est aussi être reconnu par la société, avoir un statut. Nous avons donc créé des plateaux de travail et des entreprises d’économie sociale», souligne madame Tardif.
Au sein de COMSEP s’affairent ainsi plusieurs comités : des collectifs de femmes, d’hommes, de pères, de familles — où la présence d’immigrant.e.s est nombreuse. «Nous avons aussi un volet service, où nous aidons nos gens à remplir différents formulaires, à s’inscrire sur la liste électorale, par exemple. C’est un geste important que d’aller voter, d’avoir conscience d’être citoyen.ne.s. Nous avons aussi des friperies et recevons des vétérinaires, les besoins et intérêts sont là. C’est donc un continuum de services qui avance au rythme des personnes.»
Et le communautaire ? «Nous ne sommes pas toujours d’accord dans le milieu communautaire, il y a différents courants et nous avons des orientations idéologiques différentes. Mais lorsqu’il est temps de mener des luttes communes, malgré nos différences, nous nous rejoignons. Nous désirons tou.te.s mettre notre ‘’brique‘’ afin que la société soit plus juste et équitable.»
En ce qui a trait à la recherche ? Chez COMSEP, il y a souvent des participations à la recherche et à l’action citoyenne menée de concert avec plusieurs chercheures engagées. «Elles nous accompagnent dans différents projets et reconnaissent notre savoir. Nous n’avons jamais l’impression que leurs connaissances sont supérieures aux nôtres, à nos données empiriques, notre connaissance sur le terrain. Nos savoirs de praticien.ne.s sont reconnus et la recherche a été très positive pour moi, elle m’a permis de ‘’coller‘’ ce que je faisais ici, d’intellectualiser et de mettre en mots», me dit-elle.
Les gens à faible revenu et peu scolarisés ont aussi des savoirs. «Il.elle.s ont des connaissances du terrain que nous n’avons pas, qui proviennent de l’intérieur. Nous nous inspirons d’eux.elles et partons de leurs besoins. Reconnaître leurs savoirs et ‘’tabler‘’ là-dessus en font des leaders qui nous aident à comprendre la culture dans les quartiers, leurs modes de fonctionnement. La conscientisation, c’est aussi la reconnaissance de leurs savoirs, c’est comme de l’empowerment collectif».
En terminant notre entretien, cette femme éprise de son travail me dit tristement que sa retraite arrive dans trois ans et qu’elle désire prolonger de quelques années son temps de travail. Comment quitter sa passion ? Elle qui tous les matins est heureuse de se réveiller pour venir travailler ici. Quelque chose me dit que tant qu’elle gardera cette énergie et cet enthousiasme débordants, rien n’entravera sa course !

Votre chroniqueuse Frédérique Gagnon (à gauche) en visite chez COMSEP rencontre la coordonnatrice de l’organisation Mme Sylvie Tardif (à droite).
Photo: J. Garceau