Une autre nouvelle «à la mode» vient de tomber. Ça y est, c’est maintenant au tour de cinq conservatoires de fermer leurs portes. Trop cher selon les dires de nos cravatés nationaux. Les temps sont gris, tout doit être utile. L’apogée du pragmatissss, de l’utilitarissss. Bienvenue dans ce 21e siècle.
Une nouvelle tout simplement à la mode qui ne semble pas déranger personne, ou du moins une minorité qui tente en vain de faire du bruit, mais qui n’y parvient pas. Des gens qui rêvent à un monde meilleur pour leur postérité, mais qui finalement n’assistent qu’au cauchemar du silence de leurs cris. Des cris sourds que personne n’entend, une minorité qui somme toute demeure et demeurera silencieuse, malheureusement.
Au moment où j’écris ces lignes, je me rappelle ces nombreuses soirées passées à écouter de la musique : des nuits d’insomnie à me déverser sur du punk avec des amis ou une soirée collée avec une ballade en compagnie d’un flirt d’adolescence. Bizarrement, il y a aussi les images de mon père et moi qui écoutons du jazz d’ascenseur lorsqu’on revenait de l’aréna en voiture qui remontent à ma conscience. Maudit qu’il était plate son jazz. Sans farce. C’était un jazz cheap, non recherché. Mais lui, il aimait ça, je m’en souviens. Tant mieux, il y a cette diversité dans la musique qui la rend unique, comme si chacun se l’approprie l’instant d’une chanson, d’un vers ou d’une note.
Quand je pense à la musique, le mot «utile» ne croise jamais mon esprit. Attendez, je fais une pause. Définition du mot «utile» selon le multi dictionnaire : «qui sert à quelque chose». Est-ce que la musique me sert réellement et concrètement, puisqu’il faut parler de façon concrète et pragmatique semble-t-il en 2014, à quelque chose ? Est-ce que la musique satisfait un besoin chez moi ?
La musique, d’une quelconque façon, a non seulement meublé certains moments clés de mon existence, mais elle a aussi construit certaines mémoires qui flottent dans ma tête. Est-ce une utilité de la musique ? Peut-être. M’a-t-elle permis de gagner de l’argent ? Sans-façon. Or, à quoi sert-elle? Pourquoi s’y adonner? Fermons nos institutions qui s’y consacrent, ça règle le problème. Pif, paf, on n’en parle plus. Facile, non ?
Les conservatoires servent à cultiver une élite musicale, des gens talentueux, parfois exceptionnels, qui sortent des rangs. Pour y entrer, les élèves doivent réussir certains tests exigeants, la barre est haute pour y accéder. Quand il n’y aura plus ou presque plus de pianiste comme André Laplante, de violoniste comme Francine Dufour, de trompettistes comme Yves Lussier, quand ce sera plutôt des Jon Smith ou Xang Wo pour composer la culture musicale mondiale, la fermeture aura accompli sa mission : empêcher à sa façon le rayonnement et l’apport musical du Québec à la culture mondiale.
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Je suis allé voir du jazz le vendredi 19 septembre dernier au Café-Bar le Zénob du centre-ville de Trois-Rivières. C’était le Trio Nelligan qui se donnait en prestation. Ne vous inquiétez pas, ce n’était pas du jazz d’ascenseur. Celui-là était plutôt talentueux, recherché, voire naturel. Les trois hommes, Martin Bournival au piano, Sébastien Saliceti à la contrebasse et Éric Charland à la batterie, œuvrent dans la région de Trois-Rivières depuis la fondation du trio en 2007. Réels passionnés de musique, ils contribuent au rayonnement de la diversité musicale de la région trifluvienne. Pour l’occasion, ils avaient un trompettiste invité: François Boutin.
Au fond, la musique ça sert précisément à ça: à tout et à rien en même temps. C’est peut-être ce qui fait sa beauté. À chaque fois qu’on pense la saisir, elle nous échappe, nous glisse des doigts, mais cette perte de contrôle, ce désir de s’oublier qui l’habite est ce qui l’anime. Elle prend vie de cette façon pour rendre sa version de la liberté, du moins son sentiment de liberté pour quelques moments nous ramenant dans nos souvenirs, accompagnant quelques pleurs et quelques joies.
Je dois honnêtement lever mon chapeau au pianiste Bournival dont ses doigts voyageaient sur le piano comme s’ils étaient endiablés, et endiablant à la fois une salle comble dans ce mythique café-bar. C’était réellement impressionnant. Il y avait aussi une belle nostalgie qui régnait dans l’endroit. Les airs de trompette, plaintifs et vifs à la fois, qui traversaient ce jazz ont donné une belle touche mélancolique.
Alors que j’avais mon verre de scotch à la main, eux leur instrument, chaque note qu’ils jouaient faisait remonter quelques souvenirs. Au fond, la musique ça sert précisément à ça: à tout et à rien en même temps. C’est peut-être ce qui fait sa beauté. À chaque fois qu’on pense la saisir, elle nous échappe, nous glisse des doigts, mais cette perte de contrôle, ce désir de s’oublier qui l’habite est ce qui l’anime. Elle prend vie de cette façon pour rendre sa version de la liberté, du moins son sentiment de liberté pour quelques moments nous ramenant dans nos souvenirs, accompagnant quelques pleurs et quelques joies.
Utile? À vous de juger. Chose certaine, l’encourager me semble aller de soi, peut-être suis-je idéaliste, mais il me semble que sur la grande tarte des dépenses gouvernementales, il s’agit d’un infime prix à payer pour contribuer au rayonnement national et à l’apport du Québec dans le monde. Mais qui suis-je pour le dire haut et fort? Selon eux, probablement qu’un simple étudiant.