Par Maxime Bilodeau, chroniqueur
La vie, c’est bien connu, est ponctuée par le passage cyclique du temps. L’exemple le plus frappant et le plus probant est sans nul doute celui du passage des saisons. Les heures d’ensoleillement qui, tour à tour, se raccourcissent et se rallongent, la nature qui meurt tranquillement pour ensuite mieux renaître de ses cendres, les températures qui, en l’espace de quelques mois à peine, passent du tout au rien : tous des signes tangibles et fiables qui nous indiquent que le temps passe, imperceptiblement et furieusement à la fois.
Or, il n’y a pas que notre environnement qui soit influencé par cette course folle. De la même manière que celui-ci se modifie au rythme du temps qui s’écoule, notre organisme y est lui aussi soumis. Que ce soit des changements se manifestant sur une durée inférieure, égale ou supérieure à 24 heures, respectivement infradien, circadien et ultradien, ceux-ci forment tous ensemble un rythme biologique qui structure et ponctue le quotidien de notre espèce depuis des millénaires. Certains soutiennent même que cette capacité de notre organisme à s’adapter adéquatement au temps qui passe constitue indéniablement un avantage, lorsque regardé avec les lunettes de l’évolutionnisme.
Outre le classique et archiconnu cycle éveil-sommeil, il existe des centaines et des centaines d’autres fonctions physiologiques qui obéissent à ce rythme. En fait, chaque système du corps humain est doté de sa propre horloge qui «tourne», formant ainsi ses propres cycles distincts. Il est important de noter toutefois l’existence de l’hypothalamus – petite structure à haute densité neuronale située dans le cerveau – qui coordonne les actions de l’ensemble des systèmes. Véritable Kent Nagano, l’hypothalamus travaille sans relâche 24 heures sur 24, sept jours sur sept, année après année dans le seul et unique but d’assurer la synchronisation parfaite et l’harmonie de tous les musiciens du corps humain. Sans lui, ce serait la cacophonie assurée.
Cette capacité de notre organisme à s’adapter adéquatement au temps qui passe constitue indéniablement un avantage, lorsque regardé avec les lunettes de l’évolutionnisme.
Fait à noter : même en l’absence de synchronisateurs temporels – signes indiquant le passage du temps tels que la lumière du soleil ou la température extérieure et que l’on appelle également zeitgebers –, l’horloge continue irrémédiablement à tourner à un rythme tout juste supérieur à 24 heures (24,18 heures). En effet, c’est ce que démontrent plusieurs expériences dites d’isolement temporel qui consistent justement à isoler un individu de ces référentiels. Concrètement, cela confirme donc que notre horloge est non seulement externe, mais également et surtout interne.
Notre horloge peut également être qualifiée de sociale puisqu’elle est constamment soumise à une pression de la société. Comme son nom l’indique, celle-ci découle directement de notre organisation sociétale dite «moderne» où les heures de travail fixes, les sorties que nous effectuons à toute heure du jour et de la nuit ou encore les nombreux impondérables qui agrémentent le quotidien sont monnaie courante. En fin de compte, cette pression peut venir modifier le rythme naturel de notre horloge biologique.
Certains ont même baptisé ce phénomène «décalage horaire social» puisqu’il comporte plusieurs similitudes avec le syndrome de décalage horaire du voyageur. Eh oui, lorsqu’on ne respecte pas ses rythmes naturels et que l’on transgresse constamment les règles de base d’une bonne hygiène de vie, c’est comme si on changeait constamment de fuseau horaire. Mine de rien, vous comprenez dorénavant mieux le pourquoi du comment de la grasse matinée dominicale; à quel autre moment dites-moi serait-il possible de «revenir» au bon fuseau horaire ?
Sachant maintenant les bases de cette science complexe nommée la chronobiologie, il convient de se demander : mais à quoi bon Dieu cela sert-il? Qu’est-ce que cela nous apprend? Quelles en sont les applications pratiques? Dans les faits, les usages de ce champ de recherche en pleine expansion sont quasiment infinis. Les débouchés éventuels sont, quant à eux, très prometteurs.
Dans le domaine de la santé, on pense par exemple que l’administration d’un vaccin dans une période spécifique de la journée où la réponse immunitaire est accrue pourrait accroître son efficacité. Au niveau de l’enseignement, il est de plus en plus admis que les horaires actuels dans les écoles secondaires iraient contre la nature même de l’horloge biologique des adolescents puisque cette dernière se retarderait d’ainsi de deux heures à la puberté créant ainsi un retard de phase. Sans parler des innombrables applications que les entreprises pourraient en faire pour décupler sa productivité, diminuer l’absentéisme et améliorer le climat de travail ainsi que le bien-être de sa main d’œuvre.
Personnellement toutefois, je trouve que chronobiologie va surtout de pair avec entraînement et performance. Saviez-vous par exemple que cinq heures de l’après-midi correspondent au moment de la journée où l’efficacité cardiovasculaire et la force musculaire sont à leur apogée, constituant ainsi le moment idéal pour établir un record? Plus à tout le moins qu’à cinq heures du matin où, au contraire, la somnolence est à son maximum, alors que les capacités physiques sont quant à elles à leur minimum. Nous parlons d’une différence d’environ 10% pour les douze heures d’écart. Il n’est pas loin le jour où le développement de certaines qualités athlétiques se fera lors de périodes ciblées et spécifiques de la journée.