Éditorial: La censure ⎯ Ou les infortunes de la vertu

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Faut-il brûler la liberté d’expression?

C’est un débat qui fait rage depuis quelques temps. D’un côté de la balance se trouvent des gens qui utilisent la liberté d’expression comme prétexte pour dire tout et n’importe quoi. De l’autre, des apôtres du politiquement correct qui dénoncent les stupidités des premiers, lesquels ont alors le réflexe d’hurler à la censure et de crier Liberté! On cite alors Voltaire: «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire.»

Voltaire n’a jamais dit ça, en passant. Alors plutôt que d’aligner des phrases creuses et apocryphes, je propose d’alimenter la réflexion avec quelques questions.

La liberté d’expression a-t-elle des limites?

Sur ce point, la réponse est oui, sans hésiter. L’exemple classique sur la question est le suivant: on ne pourrait, au nom de la liberté d’expression, entrer dans un théâtre au milieu d’une représentation et crier «Au feu!» sans motif. Deux raisons peuvent justifier cet interdit. La première: il n’y a pas le feu, c’est un mensonge. La seconde: agir d’une telle façon créerait un chaos qui pourrait s’avérer dangereux pour les gens qui se bousculeraient vers la sortie. Vérifions ces deux énoncés.

Devons-nous censurer le mensonge?

Au Québec, le Conseil de presse se donne le droit de jeter un blâme sur les articles journalistiques rapportant des faussetés: le média coupable a alors le «devoir moral» de se rétracter publiquement. Par contre, le Conseil ne blâme pas les chroniqueurs et autres fabricants d’opinion, qui disposent alors du droit de calomnier. Les tribunaux sont le dernier recours contre ces gens si une personne ou un groupe de personnes se sentent victimes de diffamation de leur part. Dans ce cas, nous sommes donc loin d’un État qui pratique la censure.

Un autre exemple serait celui des Friends of Science, groupe d’intérêt financé par une multinationale de l’exploitation pétrolière. Ils ont fait scandale cet été en payant pour afficher le long de l’autoroute 40 des panneaux publicitaires clamant que le soleil est le responsable principal des changements climatiques. À l’instar de notre exemple du théâtre, ce genre de propos est faux et dangereux. La censure serait-elle acceptable dans ce cas? Cela nous mène à notre prochaine question.

Devons-nous censurer les propos dangereux?

La liberté d’expression n’est pas un prétexte pour exprimer des propos dangereux. Cela paraît évident, mais il est parfois difficile de tracer la limite entre l’acceptable et l’inacceptable. Pendant la Première Guerre mondiale, par exemple, la Loi sur l’Espionnage aux États-Unis a permis d’interdire la liberté d’expression aux gens et médias militant contre l’implication américaine et l’enrôlement obligatoire. La propagande pacifiste fut alors jugée dangereuse et ses activistes furent emprisonnés. Il semble aujourd’hui évident qu’il s’agissait d’une dérive autoritaire qui limitait excessivement la liberté d’expression.

Actuellement, pour donner un autre exemple, des lois interdisent le négationnisme dans plusieurs pays européens. Les négationnistes étant des imbéciles tentant, par toutes sortes de contorsions, de nier l’existence historique de l’Holocauste. Cette censure est-elle plus acceptable? Devons-nous accepter les propos haineux mettant en danger la paix sociale?

Cela fait beaucoup de bruit quand un imbécile dit des imbécilités.

Devons-nous tolérer l’intolérance?

C’est l’une des questions auxquelles il est le plus difficile de répondre. Faut-il admettre les discours haineux, racistes, homophobes, etc? Le mois passé, une célèbre conférencière venait à l’UQTR nous mettre en garde contre le soi-disant péril islamiste au Québec. Nous devons agir, nous disait-elle, car «le loup est dans la bergerie». Nous ne sommes pas loin, ici encore, de notre «Au feu!» évoqué plus haut. Pourquoi argumenter à l’aide de faits quand la peur de l’autre suffit déjà à convaincre?

Y a-t-il vraiment des gens qui appellent à la censure?

Cela fait beaucoup de bruit lorsqu’un imbécile dit des imbécilités. Bien des gens dénoncent les blagues de mauvais goût de certains humoristes, les propos xénophobes de certains chroniqueurs ou animateurs de radio. Mais ces gens réclament-ils vraiment que ces propos soient censurés, ou souhaitent-ils plus simplement, à leur tour, utiliser ce merveilleux outil qu’est la liberté d’expression pour répudier des discours?

Je vous apporte beaucoup de questions et peu de réponses, j’en ai bien peur. Voici peut-être une piste de solution: John Stuart Mill, dans son ouvrage De la liberté, expliquait qu’à son avis, la censure ne pouvait qu’être nuisible, peu importe ce qui était censuré. Je vous laisse sur sa défense de la liberté d’expression contre la censure: et à vous de juger si elle est toujours applicable, dans des sociétés où la plupart des médias sont détenus par des groupes d’intérêt privés:

«Ce qu’il y a de particulièrement néfaste à imposer silence à l’expression d’une opinion, c’est que cela revient à voler l’humanité: tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion davantage encore que ses détenteurs. Si l’opinion est juste, on les prive de l’occasion d’échanger l’erreur pour la vérité; si elle est fausse, ils perdent un bénéfice presque aussi considérable: une perception plus claire et une impression plus vive de la vérité que produit sa confrontation avec l’erreur.»

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