L’université est un lieu d’apprentissage où doit s’élaborer une pensée critique, mais aussi l’épanouissement et le perfectionnement de la langue d’usage de la majorité, le français. En dehors de la controverse liée à l’ajout d’un nouveau cours en anglais à l’UQTR, voici une réflexion sur le débat entourant l’usage d’une nouvelle tendance détestable, le parler bilingue franglais.
Le syndrome du colonisé
Il est évident que les Québécois – qui sont d’ailleurs les Canadiens les plus bilingues du pays – sont champions dans l’utilisation d’anglicismes, particulièrement sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi faut-il aller puiser dans une autre langue ce que nous pourrions dire avec plus de précision dans nos propres mots ? Pourquoi dire joke alors que les mots blague, farce, plaisanterie et boutade font déjà partie de notre vocabulaire commun?
Plusieurs rétorquent que l’anglais utilise aussi plusieurs mots d’origine française, il est vrai, et même parfois avec beaucoup d’élégance (je me retiens ici d’en dresser une liste), mais il faut admettre que l’anglais n’est présentement pas du tout menacé comme peut l’être le statut du français à Montréal, au Canada ou même en Amérique du Nord.
Or, face à cette assimilation croissante des francophones sur le territoire du Nouveau-Monde, il appartient à nous tous de purifier notre langage en réduisant au maximum l’usage de termes étrangers afin de faire rayonner la langue officielle des Québécois(es).
Selon Mathieu Bock-Côté, le franglais «est un symptôme parmi d’autres de la régression du français au Québec. […] Il représente un consentement implicite à la domination de l’anglais et annonce qu’on s’y convertira progressivement» (référence: http://blogues.journaldemontreal.com/bock-cote/politique/qui-franglise-sanglicise/). Il a bien raison. Tant que nous continuerons à croire naïvement que son usage n’est pas une porte ouverte vers l’anglicisation massive, il faudra continuer de monter aux barricades chaque fois qu’un élu banalise une langue qui ne sait pas sur quel pied danser. Comme disait Michel Chartrand, à force d’hésiter entre deux chaises, on finit par s’asseoir le cul par terre.
Le Québec et la mère patrie
Malgré leur usage limité ailleurs dans la Francophonie, plusieurs mots et expressions issus du vieux français, utilisés particulièrement en France entre les XVe et XVIIe siècles, sont toujours couramment employés ici au Québec.
Afin d’approfondir et d’élargir ce lexique commun, voici une liste en ordre alphabétique de ces mots qu’on croit parfois appartenir au langage cru du joual, mais qui font en réalité partie intégrante de la culture québécoise et de nos racines françaises. Cette courte liste, établie principalement à partir de l’ouvrage «Petit guide du parler québécois» (2004, Stanké, 2e édition) de Mario Bélanger, agent d’information à l’Université du Québec à Rimouski, s’adresse autant aux étudiants qu’aux professeurs et chargés de cours qui pourraient avoir tendance à déprécier un mot parce qu’il ne serait pas connu, qu’il sonne drôle ou qu’on l’associe au joual, à cause de sa connotation rurale ou trop familière…
A à D: abrier (recouvrir, mettre à l’abri), achalant (exaspérant), achaler (harceler, importuner), adon (hasard), adonner (bien tomber, s’entendre), alentour (autour de), après (en train de, contre) comme dans la tournure de Molière il est après construire sa maison ou encore il est fâché après elle, assir (s’asseoir), astheure (maintenant), autant (très souvent, peut dans certains cas vouloir dire «mieux»), barré (verrouillé), barrer (fermer à clé), beurrée (tartine, cher), boucane (fumée), bourasser (brusquer – ne peut définir une action de Robert Bourassa…), bretter (flâner, perdre son temps, papillonner), brûlement (brûlure), brunante (à la tombée du jour), cabaret (plateau), cachette (cache-cache), camisole, maillot de corps, débardeur, tricot de peau), cause ou à cause (parce que), champlure (robinet, déformation de chantepleure), chandelle (bougie), châssis (cadre de fenêtre), chaudière (seau, récipient), clenche (loquet), coche (entaille, cran, ou encore; erreur, bévue), couverte (couverture), débarbouillette (petite pièce de tissu qui sert de gant de toilette), débarrer (déverrouiller), débâtir (démolir), déboursé (acompte), dépendamment (selon, en fonction de), dispendieux (coûteux, cher), durant que (pendant que).
Il appartient à tous de faire rayonner la langue officielle des Québécois(es).
E à H: s’écarter (se perdre, s’égarer, géographiquement parlant), écornifler (mettre son nez, chercher à voir), écornifleux/euse (curieux, indiscret), embarrer (enfermer), s’enfarger (s’empêtrer, perdre l’équilibre, se perdre dans un discours obscur), ennuyant/e (ennuyeux), escousse (moment, déformation de secousse), «être» dans le sens de j’suis pas pour (je dois éviter de), fâchant (navrant, irritant), fale (l’air piteux), fendant/e (prétentieux, arrogant), flo (enfant, «flo» signifiait mince ou faible et a donné les mots flou et fluet), fourneau (four), gager (parier), gageure (pari), gale (croûte, sur une plaie en guérison), garrocher (lancer d’un côté et de l’autre, se précipiter), gorgoton (gorge, pomme d’Adam), gosser (s’attarder avec beaucoup de minutie, travailler le bois avec un canif), goûter (avoir le goût de), grafigne (égratignure, écorchure), grafigner (érafler), gravelle (sur le gravier), gréyé/e (habiller pour sortir), se gréyer (s’habiller, se préparer), gricher (grincer), grouiller (bouger), gruger (ronger), habit (complet, costume, costard).
I à Z: icitte (ici), itou (aussi), jambette (croc-en-jambe), jaser (bavarder), jasette (avoir la parole facile, très abondante), jusqu’à temps que (jusqu’à ce que), licher (lécher), linge (vêtements), magané/e (usé, défraîchi, affaibli), maganer (fatiguer, s’user, se démolir), mais que (quand, dès le 15e siècle!), malcommode (turbulent), en masse (beaucoup), mêlant (compliqué), mêlé/e (embrouillé, perdu), de même (comme ça), menterie (mensonge), misère (du mal, de la difficulté), mouillasser (pleuvoir légèrement, par intermittence), mouiller (pleuvoir), mouve (selon le contexte: mouvement, sortie, déménagement), noirceur (dans l’obscurité, de nuit), où que (où est-ce que), parlure (manière de parler), piastre (dollar, sou), pichenotte (pichenette), placoter (commérer), proche (je l’ai presque fait, j’ai failli le faire), quenouille (sorte de roseau), raboudiner (rafistoler), raison (évidemment), respir (inspiration), restituer (vomir, rendre), ripe (copeaux de bois), saucer (tremper), secousse (bout de temps), serrer (aussi courant que ranger), siau (seau), solage (fondations), suce (tétine), talle (touffe, gerbe), tannant/e (raseur, agaçant), tanné/e (agacé, excédé), tiendre (tenir), tort (faire du bien), train (du bruit, du tapage), trâlée (troupe, ribambelle), turluter (fredonner), de valeur (c’est dommage, c’est malheureux – utilisé par Montaigne), veiller (passer la soirée), vlimeux/euse (coquin, venimeux).
Le rôle des universitaires
En guise de conclusion, la prochaine fois que croyez qu’un mot anglais permet de mieux exprimer votre idée, pensez-y deux fois avant de l’utiliser, au détriment de votre langue maternelle. Cette langue de nos pères et de nos ancêtres qui a forgé notre destin au cœur de l’Amérique. Selon le sociologue et philosophe Fernand Dumont, «L’essentiel est dans la qualité de la langue que nous parlons. Or, cette langue s’est singulièrement détériorée.»
Et comme disait Émile Cioran, nous n’habitons pas un pays, mais une langue. Il est donc de notre devoir à tous – surtout les universitaires – de faire briller un dialecte à saveur régionale, mais aussi de participer à cet effort collectif de restauration de notre langue. L’avenir du Québec passe non seulement par la survivance du fait français, mais aussi par cette fierté qui devrait animer autant nos artistes, nos élites que toutes nos institutions nationales. Il est enfin temps d’assurer pour toujours la postérité de la langue française en Amérique, nous en sommes responsables et des mesures doivent être prises en ce sens.
P.S. Dans une prochaine chronique, je vous parlerai davantage du joual québécois et de nos particularités langagières d’ici. Je ferai aussi pour l’occasion un inventaire des sacres et jurons propres au Québec ainsi qu’un petit cours sur la possibilité de les conjuguer!
On n’a pas de langue forte sans mettre l’accent sur l’éducation. Les gens qui ont parlent et écrivent un mauvais français sont souvent les mêmes qui font autant d’erreurs en anglais. Je ne pense pas qu’il y ait une volonté d’abandon du français au Québec, peu importe les affiliations politiques. Je pense qu’il y a un manque d’exigence par rapport à l’éducation et en particulier par rapport au langage. Nous sommes la province avec le plus de journées pédagogiques dans tout le Canada, et nous sommes une des provinces qui a le plus fort taux de décrochage scolaire. Ça dit tout. Et je ne parle même pas du % de profs qui ne sont pas capables d’écrire ou parler un français correct…