À l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie, le 20 mars de chaque année depuis 1988 grâce à l’OIF, je réserve toujours une de mes chroniques du printemps sur l’état de la langue française au Québec.
Le 7 mars dernier, Marc Cassivi a lancé un nouveau livre intitulé «Mauvaise langue», dénonçant l’obsession de la protection du français, la crainte irraisonnée du bilinguisme et le refus obstiné de l’anglais. Selon lui, le «franglais» ne deviendra jamais la langue commune des Québécois(es). Or, permettez-moi de préciser un peu quelques statistiques à l’égard de l’usage du français au Québec mais également dans le cadre fédéral canadien.
Loin de moi l’idée d’être pessimiste et d’exagérer, mais la langue française est malmenée de plus en plus, non seulement par les employeurs et le patronat dans certains secteurs, mais aussi, et surtout, par nos institutions et nos gouvernements, tant provinciaux que fédéraux.
Ô Canada…
En juillet 2015, Barbara Kay, du National Post, écrivait au sujet du bilinguisme des juges de la Cour suprême du Canada, affirmant que c’était trop difficile… En novembre dernier, on apprenait que cette même instance juridique affirmait que l’Alberta et la Saskatchewan ont le droit de se proclamer unilingue anglaise sans aucune obligation de bilinguisme, alors que le bilinguisme avait effectivement été accordé avant la création de ces deux provinces.
En février dernier, la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, a présenté des excuses officielles au sujet du Règlement 17, une législation qui avait banni l’enseignement du français des écoles ontariennes de 1912 à 1927. Néanmoins, des excuses ne permettront jamais de rattraper tout le temps perdu pour ces milliers de Franco-Ontariens, c’est-à-dire la plus importante communauté francophone des Amériques en dehors du Québec (plus d’un demi-million de personnes). D’ailleurs, au moment où j’écris ces lignes, ils sont toujours en train de se battre et manifester pour l’obtention d’une première université francophone!
Le français pourrait devenir la langue la plus parlée au monde en 2050.
Alors que plus de 274 millions de personnes parlent le français dans le monde, et malgré son statut de pays bilingue depuis 1969, le Canada est de moins en moins un modèle pour la défense du français. Depuis 50 ans, le poids du français ne cesse de diminuer au Canada: la population de langue maternelle française est passée de 28,1% en 1961 à 21,7% en 2011.
Comme la situation québécoise est aussi très préoccupante, la protection du français – qui pourrait d’ailleurs devenir la langue la plus parlée au monde en 2050 selon une étude parue en décembre 2015, soit 8% de la population mondiale – sera toujours un enjeu majeur.
Montréal, ville bilingue
En septembre 2011, l’OQLF prédisait déjà que le nombre de Montréalais s’exprimant en français à la maison allait descendre en moins de 20 ans sous la barre des 50% (passant de 54% à 47%) et qu’ils seraient minoritaires d’ici 2031. En 2056, ils ne seront seulement que 42,3% selon le démographe Marc Termotte. À l’époque de ce scandale, la ministre libérale responsable de l’application de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, avait reconnu par communiqué qu’il faudra «toujours faire preuve de vigilance étant donné la situation géopolitique du Québec en Amérique du Nord et que rien ne peut être tenu pour acquis en ce qui a trait à la pérennité de la langue française, particulièrement à Montréal».
Encore plus alarmant, les récentes statistiques font mention que la part des travailleurs du secteur privé sur l’île de Montréal, travaillant généralement ou uniquement en français au travail, est passée de 62,5% en 1997 à seulement 43,7% en 2010. De plus, la part des travailleurs montréalais qui parlent principalement le français n’a cessé de diminuer depuis 1989, passant de 85% à 80%. La métropole s’anglicise, se bilinguise, à notre détriment.
Sachant que 40% des quelque 50 000 immigrants reçus chaque année sur le territoire du Québec n’ont aucune connaissance du français, soit plus de 20 000 personnes, et qu’ils s’installent à 85% dans la région métropolitaine, est-ce que le Québec court à sa perte?
«Le Québec rate sa cible»
En janvier dernier, Jean Ferreti, un jeune chercheur de l’IREC, a démontré que parmi la population immigrée du Québec, la proportion d’immigrants qui ne parle toujours pas le français atteint désormais 20% (en 2011). Ainsi, 200 000 Néo-Québécois ne savent pas parler français. Parmi ceux-ci, plus de 111 000 sont arrivés à partir de 1991, dont près de 43 000 entre 2006 et 2011, soit sous le gouvernement libéral de Jean Charest (2003-2012).
Dans son rapport, J. Ferretti est explicite sur la «négligence» du gouvernement du Québec qui «refuse de voir l’impact de l’immigration sur le français à Montréal»: «La politique migratoire menée depuis 1991 ne permet pas d’atteindre l’objectif du [ministère] de pérenniser le français. Les efforts de sélection ont permis de hausser la part d’immigrants connaissant le français, mais ne sont pas suffisants pour endiguer le déclin du français».
Alors que l’actuelle ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Kathleen Weil, estime que la promotion de la francisation est toujours le meilleur moyen de stimuler la participation des immigrants qui ne connaissent pas le français, le gouvernement libéral de Couillard continue de couper dans les cours de francisation que l’État leur destine!
En février dernier, les employés du fabricant Vêtements Peerless de Montréal – l’une des dizaines d’entreprises touchées par les récentes coupes de 50% dans la francisation aux entreprises – se plaignaient qu’ils «n’ont plus de services de francisation dans leur milieu de travail. Les cours de français qui leur étaient offerts depuis 20 ans ont été supprimés cette année faute de fonds.» L’aveuglement volontaire du gouvernement est inacceptable.
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En conclusion, le temps des paroles creuses est révolu. Il est temps, voire urgent, de passer aux actes concrets si l’on veut éviter la folklorisation ou même la «louisianisation» du Québec. Comment? Par l’intégration véritable et réussie des nouveaux arrivants à notre sphère socioculturelle et politique. À cet égard, le gouvernement du Québec doit donc établir le plus rapidement possible une politique d’intégration plus vigoureuse, mieux financée et en faire sa priorité. Il sera possible de créer un ensemble assez homogène chez la population québécoise (en dehors des religions, des origines ethniques, etc.) reposant sur le projet de faire du français la seule langue commune de l’espace public. Le français est l’unique langue officielle du Québec depuis 1974, il serait vraiment temps de s’en souvenir.