
Le 24 juillet prochain, nous célèbrerons le cinquantième anniversaire du dernier passage du général Charles de Gaulle (1890-1970) en terre québécoise, accueilli triomphalement par la population à l’été 1967. Afin de préparer les diverses commémorations qui auront lieu, revenons brièvement sur cet événement qui aura placé le Québec sur la carte géopolitique du monde.
Un chef d’État prestigieux
Né à Lille le 22 novembre 1890, Charles de Gaulle est d’abord connu pour avoir été l’une des voix de la libération de la France lors de la Deuxième Guerre mondiale. Il fera d’ailleurs un appel aux Canadiens français le 1er août 1940. Le 12 juillet 1944, il effectue sa première visite au Québec, de quelques heures seulement, en tant que chef de la France libre. Ensuite, le 21 avril 1960, il revient en tant que président de la République française (1959 à 1969) et fait trois discours à Québec.
Invité afin d’inaugurer la journée nationale de la France lors de l’Expo 67 – Terre des hommes, le 25 juillet 1967, Charles de Gaulle entame sa troisième visite chez nous après 1944 et 1960. Chaque fois, le général signe les livres d’or de Montréal et de Québec. C’est peut-être la seule fois qu’un homme politique a signé ces documents trois fois dans sa vie, et ce, dans la même ville. Ce record souligne son importance, celle d’un des chefs d’État le plus prestigieux de son époque. Trois ans avant la création de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), le 20 mars 1970, il incarne la Francophonie mondiale.
Ces quatre mots ont fait l’histoire.
Le Chemin du Roy
Construit sur un tracé de Louis XV afin de relier pour une première fois Québec et Montréal, le Chemin du Roy est ouvert à la circulation vers 1737. Cette route royale longue de 280 km, sur laquelle devait passer un jour le roi de France lui-même, devient rapidement un symbole de la Nouvelle-France. Mais comme la Conquête britannique de 1760 vint mettre un terme au rêve d’une Amérique française, aucun roi n’y passa. C’est le général lui-même qui insista pour arriver d’abord à Québec, à bord du croiseur Le Colbert, et poursuivre sa route en montant «la 138».
Pour l’occasion, à l’initiative du Premier ministre du Québec Daniel Johnson, le gouvernement québécois investit un million de dollars de l’époque pour pavoiser la voie de drapeaux tricolores (bleu-blanc-rouge) et de fleurdelisés. On parle d’au moins 200 000 drapeaux, dont 50 000 déployés seulement à Trois-Rivières. Hydro-Québec participe aussi à l’opération en finançant la décoration des 4 000 poteaux entre Québec et Montréal. De plus, des fleurs de lys de couleur blanche sont peintes au sol, et l’on construit des arches rappelant l’Arc de triomphe de Paris.
Le lundi 24 juillet 1967, au matin, il quitte Québec en direction de Montréal en s’arrêtant dans chacun des comtés qu’il doit traverser (sauf celui de Champlain), soit à Donnacona, à Sainte-Anne-de-la-Pérade, au sanctuaire Notre-Dame du Cap-de-la-Madeleine, à Trois-Rivières, à Louiseville, à Berthierville, puis à Repentigny. Selon les journaux d’époque, on estime à près de 100 000 citoyens le nombre de personnes venues l’accueillir et le saluer sur la rive nord du Saint-Laurent.

Des discours éclairants
C’est à Trois-Rivières qu’il fait son arrêt le plus long, car il est attendu pour déjeuner au Séminaire St-Joseph. Malgré la pluie, entre 5 000 et 10 000 Trifluviens l’attendent pour avoir l’unique chance de l’apercevoir. Selon les journalistes présents, la foule est en liesse et entonne entre autres l’hymne national La Marseillaise. Plus qu’à l’étranger, c’est ici qu’on lui aurait manifesté la plus grande acclamation, semblable à un empereur romain qui venait tout juste de remporter une glorieuse victoire!
Rempli de fierté et d’espoir, le discours de Charles de Gaulle est élogieux sur le développement de la société canadienne-française et sur son avenir politique. Devant le Séminaire, sur la rue Laviolette, il défend l’affranchissement du Québec comme peuple libre, maître de sa destinée: «Nous sommes maintenant à l’époque où le Québec, le Canada français, devient maître de lui-même. Il le devient pour lui-même. Il le devient pour l’honneur et, par conséquent, pour l’avantage de tous les hommes. C’est le génie de notre temps que chaque peuple, où qu’il soit et quel qu’il soit, doit disposer de lui-même. Je suis convaincu, en vous voyant et en vous entendant à Trois-Rivières, que c’est ce qui est en train de se passer ici.»
On estime à près de 100 000 citoyens le nombre de personnes venues l’accueillir entre Québec et Montréal.
Toutefois, c’est à Montréal, sur le balcon de l’hôtel de ville, en présence du maire Jean Drapeau, que le général a fait son discours le plus célèbre, devant près de 100 000 personnes rassemblées. D’une durée de près de sept minutes, les paroles du général enflamment les esprits. Il termine notamment par son célèbre «Vive le Québec libre!», ce slogan indépendantiste qui l’avait accompagné tout au long de sa route.
L’enthousiasme de la foule est à son comble. Désormais, le monde entier connaît l’existence du Québec, chef-lieu du fait français en Amérique, et ses revendications. Le lendemain, les journaux chinois devront même créer un nouvel idéogramme pour nous représenter! Nous existions enfin.

Après l’électrochoc
Offusqué par la déclaration «inacceptable» du général, Ottawa lui fait des remontrances pour s’être introduit dans les affaires internes du Canada, qui fêtait alors le centième anniversaire de sa confédération. Assumant ses paroles et rejetant l’immaturité du gouvernement canadien, Charles de Gaulle décide de rentrer chez lui, sans passer par la capitale fédérale, accroissant le scandale.
Le 27 novembre 1967, lors d’un point de presse à l’Élysée devant des journalistes français, Charles de Gaulle réitère que son discours subversif de Montréal n’était pas improvisé et qu’il était plutôt du devoir moral de la France de soutenir le Québec dans son élan d’émancipation et d’autodétermination. Encore de nos jours, ces quatre mots ont fait l’histoire, celle d’une nation en éveil qui attend toujours son printemps politique et sa libération nationale.
ENCADRÉ : Pour en savoir davantage, ne manquez pas la diffusion le mardi 16 mai à 19h30 du documentaire «Le Chemin du Roy» (1997, Ad Hoc Films), au ciné-campus du séminaire de Trois-Rivières, en présence des deux coréalisateurs, Carl Leblanc et Luc Cyr. Pour souligner les 50 ans, auront aussi lieu à Montréal un colloque le 26 mai et un rassemblement le 24 juillet 2017.