L’actualité politique québécoise m’oblige à reporter ma chronique sur la «dérive populiste» et à m’abstenir de commentaires sur la course à la mairie pour 1103 municipalités du Québec. Le 1er octobre dernier, la veille de mon 29e anniversaire, j’ai été l’un des invités du Cercle philosophique Est-Ouest de Trois-Rivières pour une table ronde sur la controversée charte des valeurs québécoises. Je profite donc de l’occasion pour mettre à jour ma pensée sur la laïcité.
En premier lieu, le débat sur la neutralité religieuse de l’État québécois n’est pas récent. Déjà dans la déclaration d’indépendance de la République du Bas-Canada par Robert Nelson le 28 février 1838, à l’article 4, il était mentionné: «Que toute union entre l’Église et l’État est à présent déclarée dissoute, et que chaque personne aura la liberté d’exercer telle religion ou croyance qu’il lui sera dictée par sa conscience.»
Alors que la France va instaurer dès 1904 sa première loi de laïcité (du grec Laikos, qui appartient au peuple), au Québec, il faudra attendre les années 1960 et la Révolution tranquille pour rendre laïques ses institutions d’enseignements et de soins de santé.
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L’auteure de Ma vie à contre-coran (2009), Djemila Benhabib, adhère aussi comme moi à l’opinion selon laquelle les symboles religieux ont des discours politiques intrinsèques. Avant même que la personne qui porte un signe religieux ouvre la bouche, tout symbole en lui-même porte un message de propagande.
Le voile musulman, par exemple, a été imposé uniquement pour contrôler la sexualité des femmes et leur érotisme. Même si la personne qui le porte, au Québec, trouve cet attribut super pacifique, ça reste un outil de contrôle social et d’inégalité entre les sexes. Même le crucifix (un instrument de torture romain) qui porte un cadavre humain mutilé et humilié, c’est agressant.
À ce sujet, j’appuie l’association des évêques catholiques du Québec qui veulent retirer le crucifix de l’Assemblée nationale, mis en place par Duplessis en 1936. À mon avis, cet emblème du patrimoine québécois aurait bien mieux sa place au Musée des religions de Nicolet! Toutefois, il ne faut pas virer fou et supprimer la croix du fleurdelisé et celle du Mont-Royal…
J’applaudis aussi l’intérêt du gouvernement à enlever le droit de retrait. Car des exceptions aux trois grands monothéismes (chrétienté, islam, judaïsme) ouvriraient la porte à d’autres mouvements encore pires comme la scientologie ou le créationnisme. J’ai hâte de voir la face d’un patron ou d’un recteur lorsqu’il se fera demander pour motif religieux de porter la croix nazie ou d’avoir une salle exclusive pour ses orgies raëliennes…
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À mon avis philosophique, la liberté de conscience commence seulement lorsque la religion disparait. Je n’ai rien contre la spiritualité, même athée, tribale ou païenne, mais je considère comme une grave erreur de jugement d’ouvrir la porte de nos institutions étatiques, donc politiques, au culte personnel des représentants de l’État.
Et contrairement à Philippe Couillard, je crois qu’il est impossible de séparer les deux: laïciser une institution sans les professionnels qui s’y trouvent. Rappelons que la charte des valeurs québécoises n’est pas là pour empêcher le monde de croire au Dieu qu’il veut ou quelconque entité. La charte de laïcité du PQ (première recommandation du rapport Bouchard-Taylor au printemps 2008) ne brime en rien la liberté de conscience, elle mise plutôt sur une laïcisation complète de nos institutions gouvernementales. La croyance est dans la tête, non dans le signe.
Il ne suffit pas de laisser la liberté de croyance aux immigrants ou le droit de porter des symboles religieux dans leur travail pour réussir à les intégrer.
Nous n’avons certainement pas sorti les catholiques des écoles pour faire entrer d’autres religions. C’est pourquoi je prône une égalité totale des personnes devant la loi, et une croyance religieuse n’est pas un motif suffisant pour accommoder une personne à son travail. Un handicap physique ou toute autre dysfonction biologique (allergie par exemple) mériterait davantage notre attention. À l’heure actuelle, d’autres marginaux avec tatouages trop visibles, piercings dans le visage ou chevelures étranges sont DÉJÀ discriminés dans plusieurs emplois.
Pour terminer, soulignons que le cours ECR, largement contesté, est le grand absent de ce débat social. Il faudrait aussi se pencher sur notre capacité à intégrer des immigrants (55 000 par année), car il ne suffit pas de leur laisser la liberté de croyance ou le droit de porter des symboles religieux dans leur travail pour réussir à vraiment les intégrer.
«Le langage est le lieu de toutes les significations», disait Jean-Paul Desbiens dans les Insolences du frère untel (1960). L’écrivain Jean-Claude Germain vient compléter avec poésie cette pensée à laquelle j’adhère profondément: «Avant d’habiter un pays, on habite une langue.» En conséquence, c’est notamment par la francisation que les néo-Québécois pourront vraiment participer à nos grands débats publics: lire nos journaux puis écrire des lettres d’opinions, regarder nos émissions télévisuelles et chaines d’informations, entendre et comprendre les débats de nos politiciens, etc.
Si le Québec veut enfin parachever l’un des plans de la Révolution tranquille – ceux de la gratuité scolaire et de l’autonomie politique du «Maitre chez-nous» / «Égalité ou Indépendance» reviendront en temps opportun – il est temps d’accélérer notre modernisation vers une laïcité stricte autant que possible. Une pétition pour appuyer la charte a été mise en ligne par le Collectif Laïcité Québec au http://www.laicitequebec.org.