Je me souviens… Au pouvoir, citoyens!: Quand la majorité silencieuse se fait voler la parole

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En juillet dernier, j’ai eu la chance de lire le deuxième livre de Philippe Bernier Arcand intitulé La dérive populiste (Poètes de brousse, Montréal, 170 pages). Au moment où virevoltent dans l’air des rumeurs d’élection provinciale ce printemps, il est temps de vous parler de cet ouvrage très instructif.

Tout d’abord, l’auteur nous rappelle les traits caractéristiques du «populisme», qui est une certaine forme d’antiélitisme. En effet, être populiste c’est avant tout le «culte du peuple», qui doit faire face à différentes menaces, qu’elles soient réelles ou illusoires (minorités, étrangers, complots). Les populistes vont donc s’adresser directement à lui, le peuple, en évitant les médias, la presse, les syndicats, les organisations, etc., soit les outils conventionnels de la démocratie moderne présents dans la société civile.

Les populistes insistent aussi pour dire que loin de la décadence urbaine, les régions et les campagnes sont remplies de «vrai monde», déifiant «le culte de la terre, le gout du terroir et une vision mythifiée du passé». Pour eux, il est plus facile de croire qu’une opinion «est vérité simplement parce qu’elle est répandue au sein du peuple »!

Quand Jeff Fillion ou Mario Dumont parle de la «clique du Plateau» ou encore quand Éric Duhaime accuse Amir Khadir d’avoir «un agenda islamique caché», c’est aussi ça du populisme. Récemment, l’économiste montréalais Ianik Marcil s’est fait traiter de défenseur de l’islam et de la gauche pervertie… ce qui est absurde lorsqu’on le connait.

Le populiste utilise la démagogie et la mentalité du «nous contre vous» pour se faire le porte-voix d’une «majorité silencieuse».

Le populiste utilise la démagogie et la mentalité du «nous contre vous» pour se faire le porte-voix d’une «majorité silencieuse» et pour s’incarner dans une figure de «résistant» (à la mondialisation, à l’islam, etc.) refusant de voir les progrès historiques liés au syndicalisme, au féminisme ou bien à l’écologisme (soi-disant «escrologistes»).

Au fait, depuis quand être de gauche ou être de droite est-il une insulte? Habituellement, c’était une façon de classer ceux qui sont pour le peuple ou pour l’économie du 1%. Or, ce débat gauche/droite est assimilé trop rapidement aux idéologies extrémistes, rappelant les vieux fantômes du communisme ou du totalitarisme tant nazi, hitlérien que stalinien.

Peut-être serait-il plus approprié de parler de pro-humain ou d’antihumain!? C’est plutôt simple, soit tu es du côté des opprimés, soit du côté de ceux qui participent à ce système capitaliste où règne l’esclavage humain et la défense de la surconsommation. Quoiqu’il soit facile de tomber dans le populisme, je crois sincèrement que la véritable dictature est aussi en Occident et s’exerce par le taux d’endettement des ménages à plus de 160%…

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Par son retour dans le temps jusqu’à la Révolution tranquille et l’apogée du gaullisme, l’ouvrage de Philippe Bernier Arcand permet également de mieux comprendre les limites du multiculturalisme, les dangers actuels du populisme sur Internet, la récente montée de l’extrême droite en Europe (beaucoup plus dangereuse que le Front national) ainsi que l’origine du mouvement libertarien aux États-Unis – à ne pas confondre avec libertaire – dont se réclame Éric Duhaime et toute sa joyeuse bande du Réseau Liberté Québec fondé à l’été 2010. À cela s’ajoutent quelques perles sur l’ADQ et sa fusion controversée avec la CAQ troquant son nationalisme identitaire pour un ressentiment contre les élites et l’État.

Ainsi, le populiste va donc privilégier les solutions simplistes et la désignation de boucs émissaires, souvent les mêmes: les fonctionnaires, l’immigration, le multiculturalisme, le syndicalisme, l’islam, les sionistes, etc. L’auteur rappelle à cet égard que «les périodes de crises économiques favorisent les opinions xénophobes et antidémocratiques».

En plus de bien définir les différentes sortes de populisme, Bernier Arcand a raison sur plusieurs autres points importants: un débat ouvert sur l’immigration s’impose, il faut repenser le rôle de l’intellectuel, soutenir le gouvernement dans sa défense de la raison, la science ne doit pas être un combat politique et le populisme ne fait que ruiner son avenir. En effet, la science doit rester neutre dans ses actes et même ouverte aux possibilités de l’existence en dehors des dogmes religieux et des croyances spirituelles. En d’autres mots, il suffit pour le populiste de présenter le créationnisme comme une théorie scientifique! On assiste à cette aberration notamment chez nos gros voisins du sud.

Quant au Québec, l’heure n’est pas encore, heureusement, à la domination totale des populistes (Maxime Bernier, Éric Duhaime, Stéphane Gendron, le maire Jean Tremblay, les journaux de Québecor), des opportunistes et des François Legault de ce monde. Mais il est temps de sonner la cloche avant la fin du match. C’est l’honneur de nos institutions publiques et parlementaires qui est en jeu! Il faut prendre soin et alimenter le sentiment d’appartenance entre les différents citoyens et les protéger de l’injustice et des inégalités. Autrement, les populistes reviendront à la charge en faisant croire que «la majorité est menacée par une minorité qui tenterait d’infiltrer les institutions de la majorité.»

En aout 2013, en marge du 23e congrès mondial de philosophie en Grèce, le célèbre philosophe Habermas, rattaché à la grande École de Francfort, a d’ailleurs insisté sur la dangerosité croissante du populisme, surtout en Europe. Il a aussi insisté sur l’urgence pour les élites politiques de changer leur manière de voir le monde, car il faut désormais «impliquer le citoyen» et ne plus confondre «citoyenneté et identité nationale».

Ceci confirme à mon avis toute la pertinence de ce livre politique de Philippe Bernier Arcand, qui avait aussi déjà publié Je vote moi non plus (Amérik Média, Montréal, 2009), un excellent petit essai sur les fondements actuels de notre démocratie. À lire ou à relire.

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2 COMMENTAIRES

  1. Le populisme, c’est aussi mettre en place des programmes politique et des projet de loi dans le but d’aller chercher des votes émotifs de la part d’une frange particulière de la population. C’est aussi élaborer des chartes sans se baser sur aucune source ou donné statistique qui pourrait justifier l’élaboration de celle ci. C’est rejeter les avis juridique et les expertises d’intellectuels renommés au profit d’un supposé « malaise » ressenti dans la population. Je présume qu’un certain parti québécois à lu ce livre.

    • Je crois qu’il faut retenir dans mon texte la phrase-clé suivante : il faut « soutenir le gouvernement dans sa défense de la raison ». En ce sens, la charte de laïcité – première recommandation du rapport Bouchard-Taylor en 2008 – n’est ni électoraliste, ni populiste. Elle est un moyen pour arriver à ce qui paraît raisonnable et urgent, soit la véritable laïcisation de nos institutions et l’application sans compromis de la neutralité de l’État. Comme il est impossible de laïciser seulement les institutions, sans les professionnels et les individus qui la composent, le projet de loi 60 a tout mon appui.

      Pour connaître ma position, veuillez consulter mon article du Zone Campus intitulé « Manifeste pour un Québec laïque » publié le 15 octobre 2013 sur ce site. Je rappelle notamment « qu’une croyance religieuse n’est pas un motif suffisant pour accommoder une personne à son travail. Un handicap physique ou toute autre dysfonction biologique (allergie par exemple) mériterait davantage notre attention. À l’heure actuelle, d’autres marginaux avec tatouages trop visibles, piercings dans le visage ou chevelures étranges sont DÉJÀ discriminés dans plusieurs emplois. »

      Si vous doutez encore de l’urgence de terminer le projet de la Révolution tranquille, je vous conseille de relire le Rapport Parent.

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