
En revenant du cégep, sur l’heure du midi, blottie dans le bus entre Trois-Rivières et Bécancour, j’ai vu dans un banc de neige un appel à l’aide. «I FEEL LONELY», tracé dans la neige (tracé avec un objet, ou encore tracé à l’aérosol, qui sait). Et dans cet appel à l’aide furtif, éphémère, dans le stationnement du centre d’achats de Trois-Rivières Ouest, j’y ai vu le reflet de la solitude qui gruge notre planète.
Le tout premier discours qu’a fait Catherine Dorion en Assemblée portait sur la solitude. Ses mots me hantent encore : «On n’est pas contre l’argent, mais de l’argent pour quoi, si on n’a plus le temps de s’aimer, si on n’a plus le temps de prendre soin les uns des autres, si on passe notre vie sur le bord du burn-out?»
Cette solitude, je la sens partout. Je la sens dans les résidences pour personnes âgées où l’on va collectivement cacher les rides de notre société, où les familles se désintègrent parce qu’on n’a plus le temps ni l’argent de s’occuper de ceux qui ont fait pousser nos propres racines.
Je la sens dans les cafés, où plus personne ne s’adresse la parole si l’on ne se connaît pas déjà (et même quand c’est le cas, on s’évite parfois aussi). Dans les bars, où on essaie de tromper la solitude avec des verres ou des conquêtes qui ne nous réchauffent pas vraiment.
Je la sens même dans des groupes militants tissés serrés, qui vont, l’arme au poing, affronter cette même solitude, qui n’est au fond qu’un autre des symptômes d’une société polluée.
Seul.e.s sur Terre
Et si les gestes qui détruisent actuellement la planète étaient aussi ceux qui nous isolent le plus ? On constate que parmi les plus grands pollueurs per capita, les pays occidentaux les plus développés sont en tête de liste. Comme nos voisins du Sud, on consomme trop de ressources, on gaspille trop de nourriture (près de 58% selon une récente étude) et on produit beaucoup trop de CO2 avec nos déplacements.
Ce que je crois fermement, c’est que la raison pour laquelle nous polluons autant, c’est que nous sommes isolé.e.s. Nous faisons des milliers de kilomètres seul.e.s dans nos voitures, produisant ainsi plus d’émissions de CO2 que si l’on prenait le transport en commun, ensemble.
Si nous gaspillons autant de nourriture, c’est peut-être parce que nous habitons de plus en plus seul.e.s et que les offres de formats alimentaires ne sont pas adaptés pour des petits foyers. Si nous achetons autant d’objets, c’est peut-être parce qu’on a un trou en soi et qu’on pense qu’il est en forme de nouveaux souliers.
Ce n’est pas pour rien que ce graffiti dans la neige a été créé juste en face d’un centre d’achats
Ce n’est pas pour rien que ce graffiti dans la neige a été créé juste en face d’un centre d’achats, la nouvelle église des Occidentaux, qui s’y réfugient pour se sentir mieux le temps d’une dépense, le temps de voir des gens, ne serait-ce que brièvement, et de ramener chez soi un artificiel toutou pour se rassurer.
Refaire le monde
I FEEL LONELY. Comme un cri dans la ville, qui, peut-être, s’arrêtera pour l’écouter. Qui, comme moi, lâchera son cellulaire pour lever les yeux et se laisser happer. Parce que pour pouvoir renaître, on doit d’abord laisser mourir ce qu’on était.
Les centres d’achats sont destinés à devenir des carcasses vides. Mais on doit les laisser se vider pour pouvoir les transformer en marchés publics locaux, en cordonneries, en centres de troc, en serres, en logements abordables, où on ira pour tisser des liens.
Pour refaire le monde, il faut tuer la façon dont on le concevait, c’est-à-dire un gigantesque magasin où seul.e.s les 1% peuvent s’offrir 99% des produits. Où des enfants sont exploité.e.s pour notre soif de possessions, de plastique vide.
Peut-être que nous avons une chance de retricoter une planète avec de la laine verte.
Si la solitude nous a conduit.e.s vers le centre d’achats, peut-être — et c’est mon espoir —, que la solidarité nous amènera à changer d’itinéraire. À travers la solidarité, le vivre-ensemble, les soirées passées à danser le swing ou jouer à Scrabble ou tricoter, nous avons une chance de retricoter une planète avec de la laine verte.
Se battre pour plus
Un ami pessimiste à moi m’a dit une fois que la lutte contre les changements climatiques serait la lutte la plus difficile à mener puisque pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous nous battons pour moins de ressources, au lieu de plus. Nous nous battons, selon lui, pour revenir en arrière.
Il m’a bien sûr taquinée en me disant que j’étais idéaliste, mais je crois toujours que nous nous battons, au contraire, pour plus : plus de temps en famille, plus de bien-être, plus de biodiversité, plus de temps pour vivre, et non plus survivre à notre solitude.
Qui que ce soit qui a tracé ce «I feel lonely» dans la neige et dont on ne connaîtra probablement jamais le nom, je veux te dire : I feel lonely too. Mais on est un paquet à se sentir seul.e.s ensemble, et c’est déjà moins de la solitude dans ce temps-là.
j’ai aimé ton article bravo et merbi