La zone grise: Un prof + un livre = congédiement

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métavers, zone grise, bock-côtéIl y a quelques jours, je suis tombée sur un article publié dans The Guardian qui mettait en lumière l’histoire d’un prof qui s’est fait congédier pour avoir lu un livre pour enfants.

Après la Floride qui a voté en faveur du projet de loi Don’t Say Gay, l’État du Mississippi, où s’est déroulée cette situation, sera-t-il le prochain à restreindre la liberté académique des enseignants et enseignantes?

Un livre un peu idiot, mais inoffensif

Le livre, intitulé I Need a New Butt!, raconte l’histoire d’un jeune garçon qui croit à tort que son postérieur est brisé puisqu’il a une énorme fissure (c’est-à-dire une craque de fesses). Cet album pour enfants, qui se veut être une introduction humoristique aux plaisirs de la lecture, n’est peut-être pas le plus intellectuel ou le plus profond qui soit, mais il est loin de justifier le congédiement d’un enseignant. En effet, dans la lettre de congédiement adressé au prof en question, la direction de l’établissement scolaire indique que le choix de ce livre est « une source d’embarras [et dénote] un manque de professionnalisme et de jugement ».

« Je crois fermement que les jeunes réticent.e.s à la lecture ont besoin de livres amusants et drôles pour développer un intérêt pour les livres. »

Or, après avoir consulté le livre, il ne me semble pas y avoir de quoi en faire un plat. Il faut savoir que la lecture de cet album traitant des foufounes a été effectuée auprès d’enfants de deuxième année du primaire situéEs dans un secteur où une personne sur cinq vit sous le seuil de la pauvreté et où l’alphabétisme est un enjeu crucial. Le professeur justifie d’ailleurs son choix en avançant que son école est pleine de jeunes réticentEs à l’idée d’ouvrir un livre.

Plusieurs personnes issues du milieu de la littérature jeunesse ou du milieu scolaire ont dénoncé cette situation. PEN America, un organisme défendant la liberté d’écriture, a caractérisé cet événement de « menace à la liberté de lire, d’apprendre et d’enseigner. »

La honte du corps

Bien qu’il soit possible d’analyser cette situation sous divers angles éthiques et moraux, je trouve particulièrement fascinant qu’encore aujourd’hui, un sujet aussi banal que le corps humain réussisse à choquer les mœurs de certains individus plus conservateurs. À mes yeux, cette décision trahit un important sentiment de honte à l’égard du corps humain. Après tout, il faut encore une fois cacher et censurer notre anatomie, aussi simple et naturelle soit-elle.

Vouloir le bien des autres, dans ce cas-ci des élèves, c’est prendre la décision qui convient à leurs besoins et non pas aux nôtres.

La direction de l’établissement a-t-elle bien réfléchi à ce que sous-entend une telle décision? Parce qu’il me semble clair que sous cette dernière se cachent de nombreux préjugés face à notre humanité. Involontairement, cette décision risque de montrer aux enfants que notre corps est sale, déshonorant et « une source d’embarras »!

L’élitisme littéraire

Je pense que la décision prise par l’établissement scolaire dénote une certaine forme d’élitisme littéraire. Comme quoi certains livres valent plus que d’autres et que l’apprentissage se doit d’être réservé à certaines sphères de la vie.

J’imagine que, comme la plupart des écoles de ce monde, cet établissement a pour mission de promouvoir la lecture auprès de ses élèves. Toutefois, cette mission ne doit toucher que les livres jugés suffisamment « purs »ou « moraux ». Je ne suis certainement pas en accord avec la décision de cet établissement scolaire qui relève plus d’un élitisme nauséabond que d’un réel souci d’offrir une éducation de qualité aux enfants. Vouloir le bien des autres, dans ce cas-ci des élèves, c’est prendre la décision qui convient à leurs besoins et non pas aux nôtres.

La direction de cet établissement aurait dû être en mesure de comprendre que pour donner envie de lire aux enfants, il faut leur prouver que la lecture n’est pas toujours un exercice sérieux et morose. Avant d’être capable de lire de la poésie et des essais, j’ai passé des années à lire des encyclopédies sur les singes, des romans Passepeur de Richard Petit et des romans peu élogieux. Refuser ce plaisir aux enfants, soit celui de lire uniquement pour se divertir, est un geste égoïste qui suggère que l’âge n’est pas toujours synonyme d’intelligence ou de bonne volonté.

Espérons que l’enseignant concerné, qui a su garder la tête haute malgré tout, sera bientôt réintégré au sein du système scolaire.

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