Plus de 34 000 professeurs étaient en grève le 30 septembre dernier dans le but de dénoncer la lenteur des prises de décisions autour de leur nouvelle convention collective. Des milliers d’entre eux se sont rejoints à Montréal pour manifester leur désaccord à qui voulait bien l’entendre (et le ressentir par la circulation ralentie). Une entrevue à Tout le monde en parle plus tard, le sujet est sur toutes les lèvres.
Si les enseignants envoyés au front n’étaient pas les plus éloquents que le plateau de Guy A. Lepage a eu la chance de recevoir, Normand Baillargeon, pour sa part, a fait honneur à sa réputation d’homme posé et réfléchi. Voyons, rapidement, les arguments avancés par les acteurs du monde de l’éducation.
Manifestation des professeurs
Quelle valeur accorde-t-on aujourd’hui à l’éducation? C’est là la question fondamentale que posent les enseignants. L’économie financière vaut-elle la perte de qualité de l’enseignement? Baillargeon a frappé fort sur le plateau en citant Abraham Lincoln: «Si vous trouvez que l’éducation coute cher, essayez l’ignorance».
Avant d’aller plus loin, voyons, d’abord, quelles sont donc les revendications de ces enseignants de métier qui ont l’éducation de la prochaine génération entre les mains. De manière générale, le syndicat des professeurs dénonce la dernière proposition de la partie patronale.
D’abord, puisque l’apprentissage est plus aisé dans un milieu calme et exempt de stress, les enseignants dénoncent l’augmentation du nombre d’élèves par classe. Un nombre d’élèves réduit permet en effet de non seulement accorder plus de temps individuel à chacun d’eux, mais aussi de dépister d’éventuels problèmes d’apprentissage ou de comportement.
Ensuite, le syndicat dénonce également la volonté de Québec d’augmenter le nombre d’heures de la semaine de travail des enseignants, et ce, sans aucune compensation salariale. Cette mesure diminuerait inévitablement la qualité de la préparation de cours des enseignants.
Finalement, c’est sans surprise que les enseignants réclament également une augmentation salariale et de meilleures conditions de travail. Ces changements, avancent-ils, encourageraient de potentiels candidats à démarrer et à poursuivre une carrière en enseignement.
Une petite histoire d’éducation
Ce n’est pas d’hier que des problèmes en éducation existent. L’échec flagrant de la dernière réforme scolaire en témoigne tout aussi bien que nos expériences personnelles. Je discutais récemment avec une chargée de cours dont je tairai le nom. Elle m’expliquait que, selon les règles départementales qui régissent son enseignement, la note de passage du cours qu’elle donne est de 50%. Lorsqu’elle a demandé le droit de hausser cette note à 60%, elle s’est vue essuyer un refus, le département avançant que le taux d’échec serait trop élevé.
Le département, donc, préférait que les étudiants n’aient acquis que 50% de la matière enseignée en classe que de les voir échouer au cours. Il y a de quoi revoir la définition de réussite.
«La médiocratie» d’Alain Deneault
Il serait de contexte, je crois, d’aborder un article publié dans la revue Libération il y a de cela quelques mois (réf. complète: Alain Deneault, «La médiocratie», Libération, no.306, hiver 2015, p.40-42). Alain Deneault, auteur d’essais critiques, est titulaire d’un doctorat en philosophie de l’Université Paris-VIII. Dans l’article en question, il aborde le difficile sujet de la médiocratie. Si le terme avait jadis pour sens le pouvoir des classes moyennes, il signifie aujourd’hui l’état de domination exercé par les médiocres, au point de soumettre les individus aspirants à mieux.
L’économie financière vaut-elle la perte de qualité de l’enseignement?
Le médiocre, toutefois, n’est pas incapable, comme l’explique Deneault. La médiocrité ne signifie pas infériorité, contrairement à ce qu’on pourrait croire d’emblée. Elle est plutôt le substantif de moyen. Ainsi, la médiocratie est ce stade moyen hissé au statut de norme. L’analogie employée par Deneault est probante dans le cas qui nous intéresse: «dans une institution d’enseignement, on ne voudra pas de la professionnelle qui ne sait pas respecter un horaire et qui ne connait absolument rien de sa matière, mais on n’endurera pas davantage la rebelle qui modifiera en profondeur le protocole d’enseignement pour faire passer la classe d’étudiants en difficulté au stade des meilleurs de toute l’école.»
Ainsi, le principal risque associé à une société médiocrate n’est pas d’avoir une bande d’incompétents à la tête de notre pays, mais plutôt d’y avoir d’adroits robots sachant mieux que quiconque respecter une consigne claire.
Le problème est d’autant plus inquiétant, lorsqu’on exige des enseignants de devenir de tels robots. Si ces derniers veulent de tout cœur contribuer à la réussite des jeunes, les conditions de travail qu’ils ont à vivre et les dernières compressions gouvernementales rendent de plus en plus difficile cette mission.
Comme dans n’importe quel domaine, l’éventail de la qualité des enseignants va du plus lamentable au plus remarquable. S’il est de notre devoir d’empêcher le piètre enseignant d’influencer les jeunes esprits, il est tout aussi important d’acclamer ces enseignants qui travaillent chaque jour à faire du monde de demain, un monde meilleur et plus éduqué.