Le débat est chaud depuis plusieurs mois déjà au sujet de la réduction des crédits parlementaires de Radio-Canada et des compressions budgétaires qui s’en sont suivies. Le débat, pourtant, ne date pas d’hier et les enjeux, souvent méconnus, restent les mêmes.
D’entrée de jeu, je dois pourtant avouer avoir ressenti une plate indifférence quant à l’avenir de la société d’État Radio-Canada; Unité 9 trouverait bien son chemin jusqu’à mon avide cerveau, diffuseur public ou non. Une table ronde sur l’avenir de Radio-Canada au dernier Salon du livre de Montréal entre Alain Saulnier, Suzanne Lortie, Brian Myles et l’animateur, Michel Désautels, m’a pourtant permis de prendre conscience qu’au-delà des deux ou trois téléromans que je suis avec assiduité, bien plus était en jeu. L’intellect collectif québécois, je dois l’avouer, me parle déjà davantage que quelques journalistes qui risquent de perdre leur emploi.
Un peu d’Histoire
L’octroi des premières licences aux stations commerciales privées en 1922 marque l’avènement de la radio au Canada. Pourtant, vers la fin des années 1920, de nombreux auditeurs préfèrent toujours syntoniser les stations américaines que les stations canadiennes.
Conjointement au développement rudimentaire de la radio au Canada, l’impopularité des stations canadiennes a donc incité le gouvernement fédéral à établir une commission d’enquête, la commission Aird, chargée d’analyser l’avenir de la radiodiffusion au Canada. Suite aux recommandations de celle-ci pour la création d’une société détenue par l’État et exploitant un système de radiodiffusion national, la Commission canadienne de radiodiffusion (CCR) est créée en 1932. Le radiodiffuseur public, cependant, ne voit le jour qu’en 1936 lorsque le CCR devient finalement une société d’État.
Les premières stations de télévision de Radio-Canada et de CBC telles que nous les connaissons aujourd’hui apparaissent dès 1952. Depuis la Loi sur la radiodiffusion en 1991, le mandat de Radio-Canada est demeuré le même: celui d’offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit.
Un financement nécessaire
Selon les dernières annonces gouvernementales, l’État ne sera plus en mesure de financer la Société Radio-Canada comme il le faisait auparavant. La solution semble s’imposer d’elle-même: pourquoi Radio-Canada ne trouverait-elle pas une autre source de financement comme le font tous les diffuseurs privés? La source de financement, lorsqu’on est un diffuseur, vous l’aurez deviné, c’est la publicité.
L’intellect collectif québécois, je dois l’avouer, me parle déjà davantage que quelques journalistes qui risquent de perdre leur emploi.
Le problème, pourtant, est plus compliqué qu’il ne le paraît. Les contrats de publicité sont souvent octroyés à qui détient la plus grande part de marché en termes de cotes d’écoute. On peut le comprendre, qui voudrait payer pour de la publicité chez un diffuseur qui ne parvient à atteindre qu’une étroite partie de la population. La logique, ici, ne semble toutefois pas être à l’avantage d’un diffuseur projetant un contenu varié puisqu’une émission comme La semaine verte n’est malheureusement pas en mesure de concurrencer Occupation Double. On parle toujours ici de cotes d’écoute, bien sûr, pas de contenu. Sous-financée, Radio-Canada n’a d’autres choix que de concurrencer les diffuseurs privés et de présenter, elle aussi, des quiz télévisés ou des traductions de Blockbusters américains à la limite de l’abrutissement à heure de grande écoute dans l’espoir d’obtenir des contrats de publicité.
Un diffuseur public, ça sert à quoi?
Jusqu’à une certaine limite, ça peut aller. Radio-Canada se privatise et l’État n’a désormais ni le besoin ni le devoir de la financer. Mais à la base, un diffuseur public, ça sert à quoi?
Le rôle du diffuseur public est de proposer un contenu que les diffuseurs privés ne peuvent se permettre parce qu’ils ont les mains liées par leur financement. Le rôle du diffuseur public est de proposer des contenus intellectuels, culturels et artistiques qui risquent de ne pas nécessairement intéresser un large public, mais qui détiennent la capacité d’élargir les esprits et d’approfondir les connaissances générales des téléspectateurs. Le rôle du diffuseur public est de financer les projets télévisuels des Québécois qui représentent un trop gros risque financier pour le financement privé.
Pour ce faire, la programmation de la Société d’État devrait donc être principalement canadienne et ainsi refléter le Canada dans sa totalité tout en rendant compte de la diversité régionale. La programmation devrait donc contribuer à l’expression culturelle canadienne en français et en anglais tout en conservant une qualité équivalente dans les deux langues.
L’envers de la médaille radio-canadienne
Radio-Canada fait tout cela. Elle le faisait, du moins. C’est ce contenu intellectuel et profondément canadien que nous risquons de perdre en refusant de la financer. Cela dit, diminuer le financement de Radio-Canada diminue inévitablement les dépenses publiques. Ce n’est un secret pour personne que le Canada, tout comme le Québec, n’est pas dans une situation financière idéale depuis des dizaines d’années déjà.
La question que nous avons le devoir de nous poser en tant que citoyens est donc la suivante: Le contenu intellectuel de Radio-Canada vaut-il les millions que l’État doit y investir? Les deux points de vue peuvent certainement se défendre.
Pour ma part, cependant, je me verrais bien mal vivre dans un pays où le seul contenu diffusé se résume à des émissions de variétés, de téléréalité et de cuisine, aussi divertissantes puissent-elles être.