La politique québécoise s’annonce palpitante pour les prochains mois. En effet, une annonce surprenante n’attend pas l’autre de la part du gouvernement Couillard, puisque le «bâillon» a été utilisé lors de l’adoption du projet de loi 10.
La loi 10
Sans vouloir m’y attarder trop longtemps, mettons-nous tout de même dans le bain libéral immédiatement. Le projet de loi 10, comme la plupart des projets de loi libéraux des derniers mois, consiste essentiellement en des coupures.
Personne, je le crois, ne sera surpris d’apprendre que le projet de loi 10 a pour objectif principal d’économiser des fonds publics et dans la même lancée, de simplifier, dit-on, l’accès aux soins et aux services pour les patients.
Pour ce faire, le gouvernement Couillard, pour ne pas spécifiquement nommer le ministre Barrette, propose une réforme générale du système de santé québécois. D’abord, l’abolition des agences de santé et de services sociaux permettrait de passer de trois paliers administratifs à seulement deux.
Ensuite, 182 centres de santé et services sociaux (CSSS) fusionneraient pour n’en former qu’une trentaine. Finalement, des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), un par région sociosanitaire, mais cinq pour la grande région de Montréal, chapeauteraient tout le réseau de la santé.
Une diminution du nombre de conseils d’administration est prévue et des coupures de postes administratifs s’en suivront inévitablement.
Bâillonner l’opposition ne pourra jamais être une mesure efficace, sachant que les idées proviennent justement des débats.
Les oppositions au projet de loi sont nombreuses. Le Collège des médecins, la Fédération des médecins spécialistes du Québec et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec croient qu’une telle concentration des pouvoirs décisionnels aura pour effet de diminuer l’accessibilité aux soins plutôt que de l’augmenter.
Malgré ces réticences de la part des principaux acteurs du système de santé actuel, le projet de loi 10 a bel et bien été adopté dans la nuit du 6 au 7 février 2015, sous «bâillon», à 62 voix contre 50. Il est intéressant de noter que les trois partis de l’opposition, soit le PQ, la CAQ et Québec solidaire, se sont prononcés contre adoption du dit projet de loi.
Pour ma part, j’avoue ne pas connaître suffisamment le système de santé et ses méandres pour être en mesure de me positionner de façon éclairée sur la question du projet de loi 10. Quoi qu’il en soit, la mesure spéciale du «bâillon» me semble être, peu importe la situation, une mesure aberrante et injustifiable.
Le «bâillon»
Comme son nom l’indique, le «bâillon» est une mesure politique, d’un gouvernement majoritaire, qui vise essentiellement à bâillonner l’opposition. Cette procédure exceptionnelle, pourtant utilisée à plusieurs reprises par le gouvernement libéral, permet de limiter le temps de débat de façon à, argumente-t-on, procéder plus rapidement à l’adoption d’un projet de loi.
Nous pouvons déjà nous réjouir, puisqu’avant la réforme parlementaire de 2009, le «bâillon» consistait en la simple suspension des règles de procédure lors de l’adoption d’un, voire plusieurs, projet de loi. Depuis la réforme, cependant, le «bâillon» ne peut être utilisé que sur un seul projet de loi à la fois et un débat minimal de 14 heures est garanti pour l’étude du projet.
Je blague, bien sûr, aucune réjouissance n’est ici requise. Bâillonner l’opposition ne pourra jamais être une mesure efficace, sachant que les idées proviennent justement des débats. La mesure spéciale du «bâillon» est, selon moi, rien de moins qu’une terrible atteinte à la démocratie québécoise.
Il n’en demeure pas moins, toutefois, que cette atteinte a été utilisée à plusieurs reprises par le passé.
Rappelons-nous, tout récemment, l’adoption sous «bâillon» par le gouvernement Charest de la loi 78 qui visait à mettre fin à la grève étudiante. L’opposition avait été bâillonnée, et les étudiants aussi.
En 2010, le projet de loi 115 avait aussi été adopté sous «bâillon» par le même gouvernement. Celui-ci visait à modifier la Charte de la langue française en rendant légale l’utilisation d’écoles non subventionnées anglaises de façon à permettre aux parents francophones d’ensuite envoyer leurs enfants dans des écoles subventionnées anglaises.
Une démocratie bafouée
Limiter le temps de débat pour faire adopter de force un projet de loi controversé tient davantage de la dictature que de la démocratie. Je suis d’avis que, au nom de cette même démocratie, les citoyens québécois devraient aller aux urnes pour chaque question importante de société.
Le système actuel est une illusion démocratique. Nous votons périodiquement pour un gouvernement qui aura ensuite le feu vert pour faire adopter n’importe quelle loi, pour peu qu’il soit majoritaire. Le système démocratique québécois consiste donc à donner tous les pouvoirs à une poignée d’élus, qui auront quatre ans pour en faire ce qu’ils en veulent.
Si la réforme en santé a été, sans conséquence, adoptée sous «bâillon», peut-être est-il aussi temps de réformer le système politique. Le projet de loi 10 est sans aucun doute le premier d’une longue lignée qui passera aussi par les projets de loi 20 et 41 et qui, espérons-le, pourrait se clore par un projet de loi empêchant l’utilisation de cette mesure spéciale qu’est le «bâillon».