L’aplomb dans la tête: Fais-moi peur

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La lecture a toujours été encouragée par mes parents. Ils m’achetaient des livres, des bandes dessinées, des Courte Échelle, les Harry Potter en format poche, c’est bien certain. Mon père m’a toujours dit qu’on apprend à écrire en lisant. J’ai appris à lire patiemment des bouquins plus lourds, à passer au travers d’une histoire qui ne démarre qu’à la page 50. J’ai appris à lire de façon intellectuelle et cérébrale, et à engloutir les descriptions interminables. Je m’éduquais certes, mais je m’ennuyais.

J’ai véritablement commencé à lire quand j’ai plongé dans l’étagère la plus noire et la plus sombre de la bibliothèque de ma mère. L’étagère pleine de gros bouquins à la reliure craquelée et aux titres jaunes aussi démesurés qu’inquiétants. Minuit, Danse macabre, La Part des ténèbres, Misery, Ça. Je suis tombée dans l’œuvre de Stephen King comme Alice dans le terrier du lapin blanc. Une longue chute empreinte d’un mélange parfait de fantastique et d’étrange, d’imaginaire et de dérangeant. Puis la version québécoise de King forma la suite logique: Patrick Sénécal et Aliss m’ont emprisonnée dans mon imaginaire pendant des jours. Derrière mes cheveux noirs et mon affect figé de fille de quinze ans, l’excitation était bien là, au fond de mes yeux qui déchiffraient les phrases frénétiquement de gauche à droite.

Une mère en polo bien repassé aurait sans doute été secouée. Pourquoi lire de telles horreurs? Et pourquoi ne lire que cela? La mienne ne m’a pas acheté Quatre filles et un jeans pour me ramener sur le droit chemin. Ça n’aurait qu’empiré les choses, et elle le savait.

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Ma mère écrivait des chroniques sur le cinéma pendant ma jeunesse pour l’Hebdo. Les films, à coup de deux par soir, c’était monnaie courante dans le salon de mon enfance. En tout cas, dans mes souvenirs. Accroupie sur le tapis, je découvrais les bons et moins bons aspects du cinéma. Des films qui me donnaient envie de conquérir le monde, d’autres qui me troublaient au point de me priver de sommeil, beaucoup que je ne saisissais pas. J’ai retenu deux leçons fondamentales en écoutant des films avec ma mère:

Leçon numéro 1: Attends. Attends. Attends.

Quand le scénario nous échappe, il est fortement déconseillé de demander ce qui arrivera aux personnages, ou encore ce qui vient de se passer dans une scène. Il est hors de question de répéter impatiemment «je-comprends-rien». Fais confiance à ton intelligence et en celle du réalisateur. Si tu ne comprends pas, c’est qu’il l’a voulu ainsi.

Leçon numéro 2: Chut. Chut. Chut.

Il est formellement interdit de commenter toutes les scènes ou – encore pire! – de commencer un monologue de faits divers pendant un film. C’est simple parjure que de faire manquer à l’autre une réplique parfaite, énoncée de parfaite façon, au moment idéal dans le scénario. Le cinéma, c’est dans les détails. La perfection, c’est un regard à l’émotion trop complexe pour l’exprimer en mots. Manquer les détails d’un bon film, c’est en manquer l’essentiel.

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J’ai commencé à dévorer des livres d’horreur, donc, et les films d’horreur aussi faisaient partie des rituels cinématographiques que j’entretenais, et que j’entretiens toujours avec ma mère. Enfant, c’est inévitable, j’ai eu peur. Il faut dire que je n’ai pas dormi pendant plusieurs jours juste parce que mon regard s’était arrêté sur l’image de la VHS de Chucky – Child’s Play au dépanneur, alors que j’hésitais entre les jujubes en bouteille de coke et les fraises en guimauve. Toujours est-il que la face de poupée fuckée de Chucky avec ses gros ciseaux sécateurs m’a fait douter de la sureté de ma garde-robe. Et si ma propre poupée se réveillait le soir? Qu’elle sortait de la garde-robe… et si elle me fixait… présentement?

Mon second traumatisme d’horreur fut dans le film Aux frontières du réel de 1998, ou X-Files, à la première scène. Peut-être vous vous rappellerez: un petit garçon tombe dans un trou dans le désert, et il se rend compte qu’il est entouré de crânes humains et qu’une huile noire louche lui colle aux pieds. L’huile noire se divise en milliers de particules qui remontent le long de son corps sous sa peau comme des insectes. Et la scène fatale: il lève les yeux au ciel alors que l’huile noire emplit complètement ses yeux apeurés. Le regard noir de cet enfant m’a foutu une chienne respectable, que j’ai témoignée à ma mère. Sa réponse ne fut pas bien complexe: ça n’existe pas, Lili, des enfants avec les yeux noirs. Ce sont des maquillages, des costumes, des effets spéciaux. S’ils t’ont fait peur, c’est qu’ils étaient réussis. «C’est vrai que cette scène était géniale, hein!», avec un grand sourire.

Une mère en polo bien repassé aurait sans doute été secouée. Pourquoi lire de telles horreurs? Et pourquoi ne lire que cela? La mienne ne m’a pas acheté Quatre filles et un jeans pour me ramener sur le droit chemin. Ça n’aurait qu’empiré les choses, et elle le savait.

Et voilà, mon rapport à l’horreur venait de changer pour toujours. Loin d’une menace, l’histoire qui fait peur est devenue un divertissement hors du commun, un défi lancé aux acteurs et aux metteurs en scène: fais-moi peur, essaie pour voir.

N.B. Ma mère et moi, on a finalement écouté Child’s Play la semaine derrière. J’avais peur d’avoir peur, mais j’ai ri tout au long.

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