Écrire. Écrire sur quoi? La fin de session m’a vidée de mon contenu, m’a saturée. On a dissout ma substance dans un liquide flou et je me sens flouée. J’ai relu mon livre d’histoire par nostalgie, et j’ai exécuté un dérapage en règle sur Wikipédia. J’ai passé d’hyperlien en hyperlien pendant des heures; Hippocrate, Aristote, la fresque L’École d’Athènes de Raphaël, Platon, la Raison, la gravure Le Songe de la Raison produit des monstres de Goya, l’animal-machine de Descartes. Puis j’ai écouté Dark Side of the Moon en simultané avec Alice au pays des merveilles. J’ai fait une chute interminable dans Internet comme Alice dans le terrier du lapin blanc. J’ai perdu trop d’heures sur mon étude. Je suis en retard, en retard, en retard.
Run, rabbit, run
Dans le mot «université», il y a «univers». Universalisme. Universel. L’éducation et le savoir, à Athènes puis pendant des siècles, constituaient l’idéal humain. On parlait du savoir et des idées avec des lettres majuscules. Mais aujourd’hui, qui a-t-il de suprême ou de capital dans les études que l’on mène? Dans les diplômes que l’on reçoit? J’en appelle à votre humilité.
Le lycée avait pour but premier pour Aristote d’ouvrir l’esprit humain à la raison, la raison qui s’épanouissait parallèlement à la connaissance. LA connaissance, englobant tout ce que l’on peut apprendre, un tout infini et sans limites. On voulait s’initier à la critique, à la remise en question, relativiser et réfléchir. Les séances de réflexion que relatent tous ces penseurs dans leurs écrits… on pourrait dire que c’était comme écouter les nouvelles du soir, ou faire la sieste en après-midi.
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Des séances de réflexion, couché sous un arbre jusqu’à ce qu’une pomme te tombe sur la tête et t’inspire la théorie de la gravité. Méditer, couché sur ton lit jusqu’à ce que la position d’une mouche dans le coin de la chambre t’inspire un théorème géométrique.
On se dit qu’Aristote, Newton ou Descartes sont les génies d’une autre époque. Des étoiles filantes du passé qu’on évoque dans toutes les disciplines, ou presque. C’est vrai, ne sont-ils pas géniaux? Ils ont touché à la psychologie, la géométrie, la politique, les mathématiques, la physique, la sociologie, l’économie. Nous les évoquons dans tous les champs de connaissance, au secondaire, au collégial et dans toutes les universités. Mais est-ce que c’est possible aujourd’hui pour un tel génie de naitre? Est-ce-possible pour un génie de pondre une théorie révolutionnaire aujourd’hui, étendu sous un arbre ou dans son lit, en regardant par la fenêtre? Aurait-il, avant toute chose, le temps de réfléchir? Prendrait-il le temps de considérer la position de cette mouche dans le coin de sa chambre?
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Un génie, aujourd’hui, ça va à l’université. Un génie ça fait un bacc, une maitrise, un doctorat. Dans un domaine particulier, pas douze. Un génie, ça passe chaque saison de sa jeunesse à boire du café sous un néon usé. Les génies d’aujourd’hui ont des horaires et des notes. Des notes en point-virgule pondérées. Ils se prononcent sur des questions précises et doivent synthétiser. Les génies, aujourd’hui, apprennent par cœur mais ne réfléchissent pas. Leur université ne le leur exige plus déduction, approfondissement et questionnement. Elle leur exige 1123,15$.
L’éducation et le savoir, à Athènes puis pendant des siècles, constituaient l’idéal humain. On parlait du savoir et des idées avec des lettres majuscules. Mais aujourd’hui, qui a-t-il de suprême ou de capital dans les études que l’on mène? Dans les diplômes que l’on reçoit?
On n’a pas le temps, aujourd’hui, d’être des génies. Descartes, s’il avait été au baccalauréat en mathématiques, aurait peut-être juste roulé bien serré son journal pour écraser la mouche sur le mur, et serait allé terminer son travail de session en flirtant sur Facebook. Newton aurait peut-être pris en photo la pomme qui lui est tombée sur la tête pour la mettre sur Instagram, comme un con. Les philosophes ont cherché l’Essence avant Jésus-Christ et ont fait couler toute l’encre du monde sur le sujet, mais avons-nous vraiment fait le tour de la question, aujourd’hui? L’Essence, la raison… Le fondamental est affaire classée. Passons aux choses sérieuses, au concret.
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Un diplôme de notions générales répétées au cube, c’est ça, la connaissance? Un diplôme qui t’en impose un deuxième, te fait lire une tonne de Power Points rébarbatifs et t’enfonce dans la marge de crédit, c’est ça, la culture? Elle est où, l’Essence, dans ton plan de cours? Dans l’horaire de travail, entre l’étude et Occupation double, quand est-ce qu’on y touche? Entre deux changements d’huile?
L’Essence, ça coute cher
Peut-être que c’est dans les moments de pause, ceux où l’on perd le fil et qu’on fixe le vide, qu’on s’en approche. Quand on délire avec notre ami un peu sauté (celui qui étudie en philo) dans le divan à deux heures du matin, grisé et béat. Qu’on part sur des divagations argumentatives et contemplatives. C’est possiblement en écoutant du Pink Floyd qu’on touche à notre Essence. Ou à la dernière scène d’un film qui nous laisse émerveillé. C’est juste une phrase parfois, une image ou un moment qu’on essaie de décrire infiniment sans pouvoir le rendre proprement, jamais. Peut-être que c’est en dévisageant ce qui nous entoure, en contemplant les jours et les plafonds que l’on trouve la solution. Et c’est peut-être précisément après un postdoctorat que l’on perd toutes nos questions.
Run, rabbit run.