
Pour cette dernière chronique, je me permets de couvrir un film qui n’est plus à l’affiche. Un droit légitime de fin d’année.
Le film
«Je ne veux plus te voir»
Il y a (déjà) trois ans, je découvrais Andreï Zviaguintsev avec le film Léviathan. Je devais produire une critique de l’œuvre pour un journal étudiant de grande qualité, le Zone Campus. C’était en novembre. Le film m’a instantanément séduit.
C’est donc avec une attente démesurée que je suis allé voir il y a quelques semaines Faute d’amour, du même réalisateur. Le film ayant remporté le Prix du Jury à Cannes, je suis arrivé en salle doublé d’exigence. Toutes les conditions étaient là pour que je sois déçu. Et au terme d’un long film sans étincelles, Zviaguintsev a réussi. Il a déjoué mes attentes. Puis il les a dépassées.
«Un film sans étincelles». J’utilise l’expression ici dans un sens positif. Déjà dans Léviathan, j’avais été marqué par la logique froide qui caractérisait le scénario. La nouvelle œuvre de Zviaguintsev pousse cette signature encore plus loin: elle épure la narrativité d’une manière limite, pour ne conserver que l’essentiel. L’expérience vécue.
Plus encore que Léviathan, le film pourrait être qualifié d’hyperréaliste. L’œuvre ne ment pas. Les déplacements en voiture sont longs et vides. La cafétéria, au travail, aseptisée. L’utilisation des cellulaires, normale (et normalement irritante). Tout ces effets concourent à nous plonger au cœur d’une vraie tragédie, tant ce qui y est exhibé est plausible et sans prétention.
Plus encore que «Léviathan», le film pourrait être qualifié d’hyperréaliste.
C’est dans ce cadre plat, pourtant, que prend forme, avec une clarté sidérante, une série de grands constats. Derrière les événements, derrière les longues séquences d’appartement, les dépositions interminables, les prises de parole monologuante, ce qui se joue, ce qui s’impose, c’est l’effritement de la capacité d’aimer. Et, corollairement, une remise en question à savoir jusqu’où l’individu peut se prioriser lui-même face à ses engagements et à ses devoirs.
’est un film où les personnages ont un déficit d’empathie, de considération, non pas parce qu’ils sont méchants ou impropres, mais parce qu’ils pensent à eux en premier. Faute d’amour montre en ce sens, à l’aide d’un calcul glacial, quelques conséquences à considérer face au choix de penser d’abord à soi. Et parce que le portrait est honnête, sans morale, celui-ci nous donne envie de réviser notre estime des autres. De ne plus toujours faire de soi une exception. J’avoue qu’au moment d’écrire ces lignes, je me sens moi-même divisé face à cette question. Et surtout bien humble face à l’interrogation qui en découle: en voulant se libérer des principes d’agir qui étouffent, des liens forcés, de la morale aplanissante, l’être humain est-il devenu quelque peu indigne de lui-même, des grandes choses qui se sont accomplies, jusqu’à lui, par amour?
Il n’y a pas de mérite, et encore moins de valeur, à dire : «c’est bon/c’est plate/faut que tu vois ça.»
Souhaits
Je ne sais pas combien de personnes ont été en contact avec mes chroniques cette année. Mais tout le projet qui m’a porté, depuis octobre, se résume à ces quelques lignes: soyez intelligent.e.s dans votre manière de percevoir les choses. Dotez-vous de catégories pour évaluer ce qui vous est présenté et pour pouvoir en discuter avec les autres. Visitez des territoires inconnus. Apprenez à critiquer ce que vous n’aimer pas, c’est-à-dire à cibler ce qui vous a déçu, dérangé, ennuyé. Et soyez critiques face à ce qui vous a initialement plu.
Il n’y a pas de mérite, et encore mois de valeur, à dire: «c’est bon/c’est plate/faut que tu vois ça». C’est le syndrome d’une suroffre qui nous pousse à ne plus approfondir ce qui croise notre chemin. Et qui nous amène à ne plus rien questionner.
Bon été, les cinémamateurs,