Vous vous apprêtez à traverser le boulevard des Forges à la course pour arriver à temps à un examen. Au moment où vous posez les pieds sur la chaussée, vous tournez la tête vers la gauche. Vous apercevez alors une voiture qui roule à toute allure dans votre direction. Elle n’est qu’à quelques poils de vous. La collision est imminente. Vous vous dites alors: «Oh non… j’suis vraiment pas à l’aise avec l’idée de me faire frapper par un char.» Et là, évidemment, la voiture disparait.
Pas pire, hein? On ne haïrait pas que la réalité se modèle selon nos désirs. Seulement, dans la vraie vie, ça ne fonctionne pas comme ça. Les principes de physique s’appliquent, qu’ils fassent notre affaire ou non. La réalité ne change pas pour nous accommoder.
D’une manière semblable, qu’elle nous plaise ou non, je crois que la vérité – même celle concernant l’existence ou l’inexistence de Dieu – reste la vérité. Elle ne change pas pour s’accorder avec nos croyances. Autrement, elle renierait sa propre nature (celle d’être conforme à la réalité).
Dans le monde matériel, cela va de soi. Toutefois, lorsque nous réfléchissons aux questions existentielles, nous sommes facilement enclins à considérer la vérité comme un principe flou et malléable. J’ai l’impression que deux croyances sont à l’origine de cette attitude.
«La vérité est insondable»
D’abord, certaines personnes croient que nul n’est en mesure de connaître la vérité – notamment sur les questions existentielles. Aux yeux de ces gens, celui qui déclare avoir trouvé la vérité est soit un ignorant, soit un arrogant de la pire espèce. En effet, selon eux, si la vérité concernant la morale, le sens de la vie et l’existence de Dieu dépasse nos limites humaines, nous ne sommes pas même en mesure de savoir si elle existe ou non – encore moins de connaître sa nature, à supposer qu’elle existe. Dans cette perspective agnostique, la quête d’une prétendue «vérité absolue» est donc nécessairement vouée à l’échec.
«Chacun doit trouver sa propre vérité»
D’autres croient que la quête de la vérité est personnelle et introspective. Chaque personne a la liberté d’adhérer à la croyance qui le satisfait. Dans cette optique, la seule personne qui a tort, c’est celle qui croit en une vérité universelle. En effet, de ce point de vue relativiste, celui qui cherche à imposer sa vérité, comme si elle était absolue, nie le seul fait indiscutable, c’est-à-dire que la vérité est personnelle.
On ne haïrait pas que la réalité se modèle selon nos désirs. Seulement, dans la vraie vie, ça ne fonctionne pas comme ça. Les principes de physique s’appliquent, qu’ils fassent notre affaire ou non. La réalité ne change pas pour nous accommoder.
Le problème avec ces deux énoncés est qu’ils reposent sur le raisonnement qu’ils cherchent à invalider. C’est-à-dire qu’ironiquement, ils affirment la «vérité absolue» que: 1) on ne peut connaître la vérité absolue; 2) la vérité absolue n’existe pas. En d’autres mots, ces énoncés se basent sur le principe de vérité absolue qu’ils condamnent; ils se réfutent donc d’eux-mêmes.
Le fameux éléphant
Vous connaissez peut-être l’histoire de l’éléphant et des aveugles. Elle va à peu près comme suit: des aveugles se réunissent autour d’un éléphant, sans savoir de quoi il s’agit. Pour le découvrir, chacun décide de palper la partie de l’éléphant qui se trouve devant lui. Leurs conclusions sur la nature de l’objet auquel ils ont affaire divergent: l’un prétend qu’il s’agit d’un tronc d’arbre (il a tâté une jambe), alors qu’un autre affirme qu’il a trouvé un serpent (il a palpé la trompe), et ainsi de suite.
La morale de l’histoire se veut la suivante: tout comme chaque aveugle ne palpait qu’une partie de l’éléphant, tout en croyant palper l’entièreté de l’objet qui se trouvait devant lui, chaque religion et chaque philosophie n’entrevoit qu’une partie de la réalité.
Cependant, l’histoire de l’éléphant met en lumière une lacune du raisonnement relativiste décrit plus haut. Pour que nous, auditeurs, soyons en mesure de savoir que la chose qui se trouvait devant les aveugles était un éléphant, il fallait que le narrateur ait une vision objective des choses ainsi qu’une connaissance supérieure à celle des aveugles, et qu’il nous la révèle. D’une manière semblable, pour que quelqu’un soit en mesure d’affirmer de manière absolue que la vérité est relative, il doit être en mesure de contempler la vérité dans son ensemble, d’un point de vue objectif.
Bien que je pense qu’il est tout à fait sensé de croire qu’il existe une vérité absolue, je reconnais qu’il serait arrogant de ma part d’affirmer que je détiens en moi-même une connaissance supérieure à celle des autres. En effet, aucun être humain ne peut réclamer le monopole de l’objectivité. Par contre, si un tiers, qui nous est supérieur, connaît la vérité et décide de nous la révéler, j’ai toutes les raisons du monde de vouloir l’écouter.
Si Dieu existe, le fait que je ne sois pas du genre «religieux» ou que l’idée de Dieu me mette mal à l’aise ne change rien à la réalité. La vérité ne change pas pour nous plaire. D’où l’importance de chercher la vérité au sujet de la vérité.
Bravo :),
c’est très intéressant