Le Québec une page à la fois: Ma lecture de mi/fin de session

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Judith Éthier. Photo: Mathieu Plante
Judith Éthier. Photo: Mathieu Plante

Avec la mi-session qui vient de nous passer sur le corps (dont les effets, pour certains, n’ont pas fini de se faire ressentir) et la fin de session qui s’en vient, il est difficile de s’embarquer dans une lecture compliquée qui demanderait trop de concentration et d’attention. Nous avons tous, à un moment ou à un autre, besoin de mettre notre cerveau à off afin de s’offrir une petite lecture plaisante et apaisante.

Jeanne Moreau a le sourire à l’envers, un roman jeunesse pigé dans le large corpus de Simon Boulerice, «brosse le portrait d’une famille aussi attachante qu’imparfaite et à travers laquelle il est facile de se reconnaître.» C’est un livre qu’un adulte, aussi bien qu’un adolescent, peut facilement apprécier.

Simon Boulerice est un jeune auteur prolifique de 35 ans ayant étudié la littérature au Cégep de Saint-Laurent et à l’Université du Québec à Montréal, puis l’interprétation théâtrale au Cégep Lionel-Groulx. En plus d’être romancier, il est dramaturge, poète, metteur en scène et comédien. Il a ainsi plus d’une vingtaine d’œuvres à son actif.

La quatrième de couverture du roman, paru chez Leméac en 2013, nous révèle que Jeanne Moreau a le sourire à l’envers a fait partie de la sélection «The White Ravens» 2014 de la Bibliothèque internationale pour la jeunesse, ce qui lui a valu d’être finaliste au Prix jeunesse de libraires du Québec.

Le talent de cet auteur, c’est d’être capable de parler d’une réalité difficile ou d’un tabou à travers un quotidien tout à fait normal. Il arrive à présenter des sujets tels que l’intimidation, l’homosexualité, la transsexualité ou l’anorexie à l’aide de personnages auxquels nous pouvons tous s’identifier, ou presque.

Léon Renaud, jeune narrateur du roman qui nous intéresse, est un adolescent de 15 ans tout à fait ordinaire, vivant sur la rive sud de Montréal, qui ne semble avoir qu’un gros drame dans sa vie: celui d’avoir des pellicules. Grâce à un projet d’école, il entre en contact avec une jeune fille de Lévis, Léonie, avec laquelle il correspond par lettre écrite. Elle arrive comme une petite boule d’énergie et de bonheur dans sa vie, venant tout bouleverser. Même leurs prénoms ne pouvaient présager autre chose qu’une belle rencontre.

À travers la narration de son quotidien (son meilleur ami Carl qui se fait une copine vraiment insupportable, son grand frère qui mange de moins en moins, problème qu’on attribue aussitôt à sa faible constitution, comme celle de sa mère, qui n’est jamais capable de garder une plante en vie), Léon nous raconte comment sa nouvelle meilleure amie lui fait voir que son frère Antoine, celui qu’il admire tant, est sans doute malade. Ce n’est pas pour rien qu’il ne mange pratiquement plus, qu’il vomit après chaque repas, et qu’il semble si maigre.

L’anorexie est une maladie sournoise qui s’installe dans le corps et dans l’esprit de quelqu’un sans avertissement, et sans montrer de signes apparents aux yeux de l’entourage de cette personne. De plus, contrairement à ce que nombre d’entre nous sommes portés à croire, l’anorexie n’est pas une affaire de filles. Elle peut atteindre aussi bien les garçons que les filles, et c’est ce préjugé que Simon Boulerice a voulu, à mon avis, démystifier.

«Tout le monde s’en veut. Ma mère pleure pendant que mon père lui détaille ce qu’il lui avait résumé plus tôt, par téléphone, quand il était encore à l’hôpital. Elle pleure silencieusement, sans faire de bruit. Comme si on avait mis son volume sur mute. Elle se sent coupable de n’avoir rien remarqué. Elle se répète tout bas, comme un mantra: «C’est mon fils et j’ai rien vu. Rien pantoute.» Mon père, quant à lui, doit certainement regretter ses blagues déplacées sur la stature d’Antoine, sur son estomac fragile.» (p.180)

L’anorexie n’est pas une affaire de filles. Elle peut atteindre aussi bien les garçons que les filles, et c’est ce préjugé que Simon Boulerice a voulu démystifier.

Léon aussi s’en veut. Il a honte. Mais pas de la maladie de son frère, non. Il a plutôt honte de lui-même et de son manque de jugement. Il s’en veut d’avoir gardé pour lui ses petites inquiétudes face à l’état de son frère.

C’est ce qui est intéressant ici. Dans un roman dédié à de jeunes lecteurs et adolescents, l’auteur présente une situation difficile et (trop) souvent taboue comme une situation pouvant surgir n’importe quand dans un quotidien tout à fait normal, avec des personnages tout aussi normaux que vous et moi. Il nous la montre avec une écriture d’une simplicité accueillante, qui met le ton sur l’aspect dramatique de l’événement, tout en rassurant le lecteur sur le fait que le tabou n’a aucune raison d’être.

Mais l’histoire nous raconte autre chose qui mérite d’être soulevé; nous vivons tous nos petits drames personnels comme si c’était la fin du monde. Il n’y a rien de pire que ce que nous sommes en train de vivre. La société d’aujourd’hui nous porte vers ce réflexe individualiste de croire que notre situation est pire que celle des autres. Pourtant, il se peut fort bien que non. Et Léon l’a compris: « On s’en fout de mes pellicules. Éperdument. Ce n’est pas ça, mon drame personnel. C’est autre chose. C’est peu, dans une vie, avoir des pellicules. C’est rien à côté d’une peine d’amour. C’est rien à côté d’un frère anorexique. » (p.188)

«Il a honte. Mais pas de la maladie de son frère, non. Il a plutôt honte de lui-même et de son manque de jugement.»

En effet, prendre soin d’un frère malade est plus important que de prendre soin de notre cuir chevelu. Il est important de faire la part des choses et de se concentrer sur ce qui compte vraiment.

Sur ce, je vais donc essayer d’oublier Netflix pour un bon moment afin de me concentrer sur mes études. Car, on s’entend, c’est plus important de s’assurer un bon avenir que d’écouter Stranger Things.

Simon Boulerice, «Jeanne Moreau a le sourire à l’envers», Édition Leméac, Montréal, 2013, 196 pages.
Simon Boulerice, «Jeanne Moreau a le sourire à l’envers», Édition Leméac, Montréal, 2013, 196 pages.

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