L’encre coule depuis les dernières semaines quant à l’habillement de la députée solidaire Catherine Dorion. Redevenue un sujet d’actualité dernièrement suite à la fameuse photo d’Halloween et au «CotonOuatéGate », il semble important de rappeler que la question de l’habillement de Dorion est antérieure à son élection et qu’elle semble être une source inépuisable de contenu médiatique pour les journalistes en manque de sensations fortes et de vrais sujets.
Si plusieurs ont des propos nuancés, certains chroniqueur.euse.s (d’affiliation politique, comme par hasard, différente de celle de Madame Dorion) ont dénoncé les actions ainsi que les habillements de cette dernière. Parmi les plus virulentes, on peut citer Denise Bombardier, dont les 78 ans bien sonnés inspirent des élans littéraires sur Dorion qu’elle qualifie d’«égérie sulfureuse de la gauche déjantée et féministe.»
La représentation
L’importance de l’habillement nous semble ici un débat plus que futile. L’intérêt de l’évènement se place dans sa représentation. Les médias modernes ont créé la politique-spectacle. Cette dernière se définit comme le fait de parler de tout entourant la politique et les politiciens, sans parler des problèmes concrets, ou du moins seulement en surface.
On voit ce problème depuis la nuit des temps. On dénigre des politicien.enne.s sur des images, des rumeurs, des évènements passés. Parfois, ces critiques révèlent des problèmes structuraux pernicieux, mais elles restent sans aucun doute dangereuses pour l’idéal démocratique.
Parmi les exemples de politique-spectacle, on peut nommer dans les derniers temps : Hélène David, en 2016, qui fut prise en flagrant délit en train de manger ses crottes de nez (?). La couverture médiatique fut immense, mais qui a entendu parler de ses politiques?
On peut aussi mentionner, lors de la campagne électorale de 2019, la publication d’une photo de Justin Trudeau, prise 18 ans auparavant, abhorrant une blackface lors d’une soirée costumée, relançant un débat sur le racisme et l’appropriation culturelle.
Le problème, avec cette surreprésentation médiatique autour d’évènements aussi futile politiquement parlant, est qu’elle vient éluder les électeur.trice.s des vrais enjeux. Les foules sont facilement détournées des vrais problèmes et sont souvent plus mues par les émotions que par la raison. Les médias peuvent alors orienter le débat en représentant ces évènements, mais aussi faire changer l’avis des électeur.trice.s sur des décisions de vote. Changement qui sera ultimement basé sur quelque chose qui ne touche pas le politique.
L’Agenda setting
De cette façon, les médias nous fabriquent un agenda setting. Ce concept renvoie à l’idée que les médias de masse, ultimement, contrôlent l’opinion publique et ont ainsi un énorme pouvoir d’influence sur la politique. Ils ne nous disent pas quoi penser, mais bien sur quoi penser, en imposant une primauté de certains sujets sur d’autres. Ce rapport est souvent loin d’être proportionnel et des sujets tout à fait anodins peuvent prendre des ampleurs médiatiques gigantesques.
Lors de son passage à l’émission Tout le monde en parle dimanche dernier, Catherine Dorion évoque implicitement l’agenda setting quant à ses propres politiques. Récemment, elle a fait un point de presse quant à une mesure de politique internationale, la couverture médiatique résultant de ce point de presse était de … 1 article de journal seulement.
Cependant, lorsque c’est pour parler du coton ouaté, alors à ce moment, la couverture médiatique augmente jusqu’à 25 articles! Il va sans dire que l’intérêt porté à la question nous éloigne du débat sur les enjeux importants et qu’ultimement, l’image et la représentation des politicien.enne.s passent avant les idées politiques elles-mêmes.
Il ne faut pas oublier que dans nos sociétés démocratiques, les médias de masse ont un rôle (celui d’éduquer et d’informer), mais ils ont aussi un énorme pouvoir décisionnel en tant qu’interlocuteurs privilégiés. L’abus de ce pouvoir peut engendrer de graves conséquences au niveau de la démocratie et de l’opinion publique qui est si malléable. C’est pourquoi les électeur.trice.s et les intellectuel.le.s se doivent de rester vigilant.e.s et de ramener les débats sur les enjeux actuels et importants.
Perpétuation du statu quo
Pour terminer, abordons la leçon de la perpétuation du statu quo, ainsi que de la tradition que cet évènement peut nous donner. Premièrement, les médias viennent légitimer le statu quo en créant les limites du social et de l’acceptable. Ils présentent les valeurs de notre société capitaliste et libérale comme étant éternelles et inchangeables. Les vieilles valeurs ne sont pas nécessairement bonnes ou mauvaises, l’important n’est pas de savoir si nous pouvons continuer à les prêcher, mais bien d’être capable en tant que citoyen.ne.s d’ouvrir le débat sur la légitimité de ces valeurs.
Est-ce que l’habillement est quelque chose de si fondamental pour en faire tout un plat? Au détriment de la discussion sur des problèmes plus actuels comme l’économie ou la lutte aux changements climatiques ? Nous nous permettons de lever le drapeau pour annoncer ce qui semble n’être au fond qu’un faux débat.
Dernièrement, soulignons le fait, que de manière plus ou moins subtile, l’image des femmes passe avant leurs idées politiques. Très dommage aussi, le salissage politique découlant de cet évènement où plusieurs figures se sont permises de rajouter leur grain de sel et ainsi dégrader le travail de la députée de Taschereau.