Mange, lis, aime: Les Fourchette.net. – Quand le banal vaut la peine d’être raconté

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«Des histoires ustensiles soft-sexu pas tout le temps mais souvent»: c’est le menu alléchant que nous offre Sarah-Maude Beauchesne sur son blogue littéraire Les Fourchettes.net. et dans ses deux recueils Les je-sais-pas (2011) et Les je-sais-pas-pentoute (2013) édités chez Publie.net. La jeune diplômée de l’UQAM en création littéraire allie poésie et courtes nouvelles pour révéler les bribes intimes – tantôt réelles, tantôt fictives – de sa vie: souvenirs de french ou de dates manquées, histoires de jalousie féminine, de sexe sans lendemain ou d’amour-passion se transforment, sous la plume dégourdie de l’écrivaine, en petit bijou littéraire.

Saisir le réel

La blogueuse a tenu le pari d’écrire le vrai du quotidien, sans censure ni artifices. Du même coup – et peut-être sans le savoir – elle traçait un juste portrait de la jeune Québécoise typique, tiraillée entre ses souvenirs éclatés de jeunesse, ses relations compliquées, ses amours de vie ou d’un moment. Pas étonnant alors que nombreuses se reconnaissent (moi y compris) dans ces confessions de fille imparfaite comme «[q]uand on tripe sur des gars on devient self conscious pis on oublie nos talents pis on se check les défauts de corps pis on se dégonfle pis on rate nos jokes à développement pis on bégaie pis on se met à avoir le hoquet pis on peut pas finir notre punch». Beauchesne s’amuse à ressasser ces moments universels de maladresse, à révéler ses défauts incorrigibles ou sa jalousie mal placée; c’est l’autodérision qui rend sa littérature si humaine.

Écrire comme on parle

Le véritable tour de force de la jeune montréalaise réside dans sa manière de dire: ses textes, souvent sans ponctuation, sont truffés d’anglicismes, de mots familiers ou inventés et d’expressions orales. Beauchesne réussit à transcrire sa voix personnelle, authentique plutôt qu’un langage sclérosé qui n’a rien de réel. À chaque lecture de ces courtes histoires semble s’animer une bouche qui raconte : « Les gars chialent que ça goûtait le rubber pis le d’sour de bras, moi pis mon amie on leur pitchait la croûte dans face parce que c’est con y’avaient yink à nous cuisiner du caviar aux gueules de loups calice». C’est une voix poignante, animée qui résonne et qui n’est pas sans rappeler celle que met en scène Michel Tremblay dans nombreuses de ses pièces de théâtre. D’ailleurs, si les textes des Fourchettes étaient d’abord destinés à être uniquement lus, plusieurs d’entre eux ont été entendus au cabaret montréalais le Lion d’Or et interprétés par huit jeunes comédiennes, dont Julianne Côté, Noémie Yelle et Catherine Brunet. Ces soirées de coutelleries, comme s’amuse à les nommer Sarah-Maude Beauchesne, ont transformé les textes animés de l’écrivaine en délicieux monologues théâtraux.

Les mots en image

Si les brèves histoires des Fourchettes mettent en scène des anecdotes souvent banales, qui semblent tout droit sorties des pages griffonnées d’un journal intime d’une fille sans histoire, il n’en reste pas moins que ces écrits foisonnent d’images poétiques. C’est de cette façon que l’écrivaine réussit à donner du lustre à l’ordinaire: «j’ai pogné le cancer du love peux-tu me sacrer patience avec tes alarmes de poumons fatigués je veux juste fumer la passion de la ville lumière comme une grande qui veut pas savoir quand elle va mourir d’amour». Beauchesne n’a pas son pareil pour décrire le ressenti: pour elle, vouloir être aimé c’est comme si «t’as le cœur qui a besoin de se faire flatter le velours des fesses». La poète compare aussi nos moments de tristesse à des fourchettes qui nous transpercent le cœur : les fourchettes à barbecue, c’est pour les grosses peines; les fourchettes à dessert concernent les petits tracas. Cette prose imagée et efficace s’allie à des photographies poignantes de Maxime Dumontier qui réussit, tout comme l’écrivaine, à saisir au vol des instants du quotidien pour les rendre particuliers.

Souvenirs de french ou de dates manquées, histoires de jalousie féminine, de sexe sans lendemain ou d’amour-passion se transforment, sous la plume dégourdie de l’écrivaine, en petit bijou littéraire.

Un vent de jeunesse pour la littérature québécoise

Qu’on se le tienne pour dit, Sarah-Maude Beauchesne a un don pour manier les mots et les histoires. C’est avec ses petits textes accessibles, teintés d’un humour franc qu’elle réussit à faire aimer la littérature à ceux qui la boudent. Même les gars, qui ne lisent que Le guide de l’auto, se surprennent à sourire à ces anecdotes féminines; même les filles, qui ne jurent que pour Quatre filles et un jean, s’attachent à la voix singulière de la blogueuse. Rassurant de savoir que la jeune écrivaine sortira en octobre prochain son premier livre jeunesse chez Hurtubise, Cœur de slush. Si ses écrits restent aussi dynamiques et imagés que dans son blogue Les Fourchettes, fort à parier que Sarah-Maude Beauchesne réussira à susciter l’intérêt chez les apprentis lecteurs.

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