Mieux vaut en lire : l’Acadie de Georgette LeBlanc

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Alma, de Georgette Leblanc. Photo : Courtoisie

Georgette LeBlanc, c’est une artiste multidisciplinaire, une âme chercheuse, à la fois danseuse, comédienne et poète. Je l’ai découvert pour la première fois en entendant sa voix chaude et sensuelle dans le refrain de l’extrait Galope de l’album Hâvre de grâce de Radio Radio.

Après quelques recherches, j’ai appris qu’elle venait d’une région au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse qui s’appelle la Baie Sainte-Marie, lieu historiquement et culturellement riche pour l’Acadie et encore d’une effervescence créative insoupçonnée pour la majorité des Québécois. Chez nous, la francophonie hors Québec en Amérique, c’est un concept un peu flou, marginal, avec des relents de folklorisme ou d’exotisme selon l’interlocuteur à qui on s’adresse. On oublie souvent qu’il y a plus d’une langue française, qu’elle a évolué de différentes façons, selon les contextes sociohistoriques.

C’est peut-être parce que, en tant que traductrice, j’apprends à jouer le rôle d’entremetteuse culturelle, ou encore parce que j’ai passé une partie de mon enfance dans le nord du Nouveau-Brunswick, que l’Acadie et son français propre me fascinent autant et que j’ai été si frappée par la poésie de Georgette LeBlanc. Même si son premier roman poétique est paru il y a quelques années, je ne l’ai lue que récemment, après l’avoir entendue en conférence à Moncton, dans le cadre des Jeux de la traduction. Son accent musical encore dans les oreilles, j’ai pu m’imaginer sa voix, son rythme à elle, en parcourant le fil des courts poèmes qui constituent les chapitres de ses deux courts romans Alma et Amédée.

Alma, c’est le fruit des recherches et des entrevues que Georgette LeBlanc a faites dans le cadre de sa maîtrise sur l’évolution de la musique à la Baie Sainte-Marie. Alma, c’est aussi le nom de sa grand-mère. Il s’agit de son histoire avec l’amour de sa vie, Pierrot, de sa naissance et de son déclin. Mais comme dans toute œuvre digne de ce nom, en peu de mots, par ses choix lexicaux typiquement acadiens, par le lyrisme et par le rythme avec lesquels elle les assemble, par la vie qu’elle donne à ses chapitres, elle réussit à faire dire à ses personnages beaucoup plus qu’il n’y paraît.

Au fil de la centaine de pages du recueil, on en apprend beaucoup sur la vie à la Baie Sainte-Marie des années trente, et le village de Chicaben s’incarne véritablement à travers les réflexions d’Alma, au cours des saisons. La nature est omniprésente dans Alma. Le paysage et le climat rude de la côte à la Baie sont souvent évoqués et servent en quelque sorte de canevas au récit qu’Alma nous narre. Alma est «verte», charnelle et pleine de vie. Elle danse et fait danser les mots de chez elle, et sait «faire la différence entre une pomme de pré et une gadelle», ce que son Pierrot «de quartz», cérébral, ne distingue plus, «pas plus que les cris des corbeaux» depuis qu’il va au Collège des Soutanes Noires.

Après sa maîtrise, Georgette LeBlanc a fait un doctorat en études francophones sous la direction de Barry Jean Ancelet, réputé ethnomusicologue, à l’Université de Louisiane. Amédé, pour la poète, c’est la Louisiane, l’Acadie dans le sud de l’Amérique découverte à travers le récit d’une amitié masculine.

Amédé est le récit de deux hommes qui se croient perdus et qui cherchent leur place. Amédé cherche depuis toujours son appartenance à une famille qu’il n’a jamais eue, croit l’avoir trouvée au Village, mais il reste étranger sauf quand il joue de son accordéon. Lejeune, au violon rassembleur, fait partie du Village depuis toujours, mais après la Tempête qui emporte sa Jolie Brune, il n’est plus jamais tout à fait le même. Dans la foulée de cette Tempête (véritable personnage) qui a tout changé, les deux amis sans plus de mots, font une grande tournée sur la route du Grand Texas et ils vivent chacun à leur manière l’arrivée du swing et du rock n’roll.

Si le contexte d’Alma et d’Amédé est historique, la forme du récit est résolument moderne. En conférence, Georgette LeBlanc nous confiait qu’elle écrivait ce qu’elle aurait envie elle-même de lire, qu’elle n’avait aucunement envie de s’éterniser sur des manuscrits de 450 pages. Elle raconte donc «une miette» de «chez elle», avec une économie de moyens qui laisse place à l’imaginaire, qui interpelle le lecteur, qui l’incite à chercher, à fouiller encore plus et à apprendre par lui-même. Il peut tout aussi bien se laisser aller et voguer sur les images évoquées. Dans son écriture, on ressent le profond respect qu’a Georgette LeBlanc pour la sonorité, l’oralité de la langue. Osez la lire à voix haute pour vivre ses mots, laissez-vous dépayser.

Alma (2006), Éditions Perce-Neige, Prix Félix-Leclerc, Prix Antonine-Maillet-Acadie Vie.

Amédé (2010), Éditions Perce-Neige, Prix de la lieutenante-gouverneure de la Nouvelle-Écosse, Prix Émile-Ollivier

Extrait d’Alma récité par Georgette LeBlanc dans le documentaire Hâvrer à la Baie : http://www.youtube.com/watch?v=GoqLl0ZyfoE.

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