Mieux vaut en lire : Sous le ciel de Guy Gavriel Kay

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Il y a des auteurs qui nous marquent et qui changent à jamais notre façon de lire un genre ou de lire… tout court. Guy Gavriel Kay m’a fait cet effet quand j’ai découvert, il y a plus de dix ans, sa première trilogie, La Tapisserie de Fionavar. De la fantasy à la facture plutôt classique, celle-ci reprenait les thèmes de la quête initiatique d’un groupe de cinq universitaires choisis, transportés dans un autre monde.

Dans une énième revisite du mythe arthurien, inspiré de la mythologie de Tolkien, Kay s’est démarqué tant par la vie qu’il sait insuffler à ses personnages principaux ou secondaires, que par leur complexité et l’identité propre qu’ils dégagent. En fermant le dernier volume, je sentais la douce amertume de dire au revoir à des amis de longue date.

Dans chacun des romans qui ont suivi, il a su renouveler mon intérêt et piquer ma curiosité pour des lieux et périodes historiques dont je ne connaissais à peu près rien. Au fil des années, Kay a su préciser son approche littéraire, raffiner son style et se démarquer parmi les plus grands auteurs de la fantasy contemporaine certes, mais il a aussi su transcender les carcans de ce genre.

C’est que, même si on trouve ses titres dans les rayons de science-fiction et de fantastique des librairies, ses récits se campent solidement dans l’Histoire, qu’il réinterprète avec une très légère touche de merveilleux, pour montrer que, de toute façon, quand on écrit l’Histoire, on la réinvente.

Sous le ciel

Pour son dernier roman, Sous le Ciel, paru en français cet automne, Kay s’est détourné des décors de l’Europe médiévale où se jouent habituellement ses récits, pour explorer la Chine du VIIIe siècle, sous la dynastie des Tang plus précisément. Pendant la phase des recherches préparatoires à son roman, Kay pensait d’abord creuser le filon des dangers de la Route de la soie et des échanges commerciaux et culturels entre l’Orient et l’Occident. Mais il s’est laissé transporter par la richesse culturelle et la complexité politique du régime impérial de la dynastie des Tang qui a connu ce que l’on considère aujourd’hui comme l’âge d’or de la poésie classique chinoise, pour faire naître la vaste Kitai et ses habitants cosmopolites.

Shen Tai est le second fils d’un respecté général de l’armée impériale. À la mort de celui-ci, Tai s’exile volontairement au bord du lac isolé de Kuala Nor : site d’un ancien champ de bataille, où des milliers de soldats sont morts. Il s’affaire depuis deux ans à mettre ces morts en terre, qu’ils soient de Kitai ou de son opposante, Tagur (qui donc pourrait différencier les ossements, de toute façon?).

Sa tâche laborieuse, solitaire, lui gagne, bien malgré lui, le respect et l’admiration des deux camps. Du jour au lendemain, son destin change de cours quand il reçoit la nouvelle que la première dame de Tagur, princesse impériale de Kitai, lui offre un impensable 250 chevaux sardes pour services rendus. Ce cadeau démesuré qui lui donne richesse et importance instantanée, le place au centre d’intrigues politiques et militaires qui le mettent dans une position drôlement inconfortable, sans dire dangereuse.

En accompagnant Tai dans son retour vers la civilisation, on apprend lentement à le connaître par ses actions, ses réactions et ses souvenirs. À la fois guerrier, étudiant-fonctionnaire, poète, Tai, malgré son jeune âge, a l’expérience de l’indécis, de celui qui a touché à tout sans trouver sa propre place. Rempli de contradictions, il est humble, poli et discipliné, mais aussi rebelle et enflammé, ayant une tendance à la démesure dans sa consommation d’alcool.

Sous le ciel est un récit construit à force d’allers-retours dans le temps et à l’exposition de multiples points de vue. Le temps de quelques pages, Kay a le talent de mettre en lumière des personnages secondaires et même tertiaires tout aussi vivants et multidimensionnels que les principaux. Il sait jouer avec les temps de narration, saute entre l’imparfait de narration et l’indicatif présent selon l’observateur ou la situation.

Le récit est équilibré grâce à des contre-points parfaitement calculés et est ficelé de façon impeccable d’un bout à l’autre de ses quelque sept cents pages. De plus, la poésie prend la place qui lui revient dans ce monde hautement sophistiqué où la symbolique des mots prend toute son importance.

L’univers fantastique du roman se trouve dans les détails, que ce soit les fantômes qui hurlent la nuit au bord du Kuala Nor, ou l’esprit de femme-renard qui se cache au détour d’une route de campagne. On se trouve ici bien plus proche du réalisme magique de García Márquez puisque ces aspects merveilleux font partie des croyances et des traditions de cette société.

Sous le ciel nous transporte donc dans une histoire complexe et intelligente, qui tourne notre regard vers un lieu et une époque que nous, Occidentaux, ne connaissons ni ne comprenons que rarement bien et nous fait réaliser les ressemblances et l’étrangeté d’un système culturel autre.  Je me suis laissé emporter et je ne l’ai pas regretté!

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