Regards sur la page controversée Spotted l’UQTR

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Dans les dernières semaines, la page Spotted l’UQTR, qui s’autoproclame comme étant «LA référence des memes en Mauricie», a fait couler beaucoup d’encre. Depuis plus de deux semaines, soit avant la parution du premier article de Radio-Canada, plusieurs de nos journalistes ont travaillé sur une grande enquête que voici.

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Un exemple de meme que la page a publié dans le cadre d’un concours organisé en partenariat avec l’association de l’École d’Ingénierie de Trois-Rivières. Photo : Facebook (capture d’écran)

Créée le 25 août 2014, la page, qui au fil des années a réussi à construire une communauté engagée de plus de 14 000 personnes, a grandement changé depuis ses débuts. En effet, dans ses premières années, le contenu publié sur la page ressemblait plus à celui d’une page Spotted standard. À la base, une page Spotted est un lieu où les étudiant.e.s d’une université en particulier peuvent écrire des commentaires ou des questions à propos de ce qu’ils aperçoivent dans leur établissement scolaire ou à propos d’autres sujets étroitement liés à la culture de leur campus; ces messages sont par la suite publiés anonymement par les administrateurs de la page.

Ainsi, les premières publications de la page Spotted l’UQTR, datant de 2014 ou de 2015, sont principalement des messages d’étudiant.e.s qui cherchent des logements à louer, des vignettes de stationnements ou des informations sur certains cours. Plusieurs memes, provenant souvent d’autres pages telles que ConneriesQc ou 9GAG, étaient publiés à travers les annonces diverses des étudiant.e.s.

De ce fait, la page était initialement très semblable aux pages Spotted des autres universités québécoises. Par exemple, la page Spotted : Université Laval, qui a été créée en 2014 et qui compte jusqu’à maintenant plus de 45 000 abonné.e.s, et la page Spotted : Concordia, qui a été créée en 2016 et qui rejoint plus de 31 000 personnes, publient, encore à ce jour, les questionnements et commentaires de leur communauté de façon anonyme. Quelques memes sont parsemés à travers les publications de chacune de ces pages. Ce n’est qu’un peu plus tard dans son histoire que la page Spotted l’UQTR a commencé à se différencier des autres communautés Spotted des universités québécoises.

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Une capture d’écran de l’une des premières publications de la page Spotted l’UQTR. Photo : Facebook (capture d’écran)

Au moment où ces lignes sont écrites, la page ne partage pratiquement plus les messages et les offres des étudiant.e.s de l’UQTR; son contenu tourne principalement autour de la culture du meme; des publications humoristiques liées, de près ou de loin, à la vie universitaire sont partagées quotidiennement par l’administrateur de la page. Bien rapidement, la communauté de Spotted l’UQTR a pris suffisamment d’ampleur que pour que des comptes Instagram et Snapchat connexes soient créés.

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Une publication qui pourrait sembler sexiste. Photo : Facebook (capture d’écran)

Un groupe privé nommé La procrastination, ma passion ! a également été créé en septembre dernier. Il est important de mentionner que la communauté de la page s’étend au-delà des murs de l’établissement trifluvien; plusieurs abonné.e.s de Spotted l’UQTR étudient dans d’autres universités québécoises. De plus, la page organise occasionnellement des soirées thématiques où les abonné.e.s peuvent se rencontrer et festoyer ensemble dans les bars de Trois-Rivières.

Des publications qui créent la polémique

À travers les nombreux memes que publie la page sur l’émission de téléréalité Occupation Double, sur la Chasse-Galerie et sur les réalités que vivent les individus fréquentant l’UQTR, on y trouve aussi maintes publications qui peuvent sembler choquantes et de mauvais goût pour certaines personnes. Selon Elizabeth Leblanc-Michaud, fondatrice du Club du lecture féministe de Trois-Rivières et étudiante en littérature à l’UQTR, et Valérie Deschamps, titulaire d’un baccalauréat en histoire à l’UQTR et éditorialiste à Zone Campus, les publications de la page vont trop loin; à leurs yeux, plusieurs des memes qui y sont publiés s’ancrent dans la culture du viol et encouragent les stéréotypes sexistes et misogynes déjà présents dans la société.

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Une photographie publiée sur le compte Snapchat de la page Spotted l’UQTR. Photo : Snapchat (capture d’écran)

Elizabeth raconte qu’elle n’avait jamais entendu parler de la page jusqu’à il y a quelques semaines, moment où l’une de ses amies lui a envoyé une publication de la page qu’elle trouvait dégradante et qu’elle estimait être du slut-shaming. Révoltée, Elizabeth s’est mise à explorer Spotted l’UQTR plus en profondeur; c’est après avoir constaté l’ampleur du phénomène qu’elle s’est dit qu’elle ne pouvait pas laisser la situation ainsi et qu’il fallait agir. Pour elle, la ligne éditoriale de la page, axée sur la vie sexuelle des étudiantes en administration et sur les soirées à la Chasse-Galerie, portent préjudice à la réputation de ces femmes et de l’établissement postsecondaire.

Elle a donc partagé une publication qu’elle jugeait être extrêmement sexiste afin d’inviter son entourage à prendre action. Elle a également signalé la publication à Facebook et a écrit un commentaire sous ladite publication afin d’en dénoncer le côté misogyne. Elle mentionne que d’autres personnes avaient laissé des commentaires semblables au sien; or, l’administrateur aurait supprimé tous les commentaires défavorables à son égard. Il aurait également bloqué l’accès à la page à de nombreux individus qui auraient partagé leur mécontentement.

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Un commentaire de l’administrateur de la page qui pourrait sembler agressif. Photo : Facebook (capture d’écran)

Par la suite, Elizabeth a contacté Geneviève Hardy, la protectrice universitaire de l’UQTR, pour la mettre au courant de ce qui se passait en ligne avec cette page qui, par son nom, est associée à l’université trifluvienne. «Ce qui est inquiétant, c’est que l’université est associée à ça. Leur nom, leur image est associé à cela», explique Elizabeth. Ce qu’elle voudrait, ce n’est pas que la page ferme, mais plutôt que l’université se positionne et agisse. Elle mentionne qu’il faudrait que l’université offre des ateliers pour sensibiliser ses étudiant.e.s et les membres de son corps professoral à la violence sexuelle qui est faite aux femmes et aux formes subtiles que peut prendre le sexisme.

Dans une entrevue réalisée avec Radio-Canada la semaine dernière, l’une des journalistes mentionne qu’Elizabeth dénonce le fait que l’administrateur de la page réfère aux femmes en les appelant des «cocottes» plutôt que par le terme non-connoté des «femmes». Historiquement, l’utilisation de ce terme peut être ambiguë; le Trésor de la Langue Française informatisé précise que ce terme peut être utilisé pour démontrer son affection à l’égard d’une femme ou plutôt pour la décrire comme étant une «femme de mœurs légères». À ce sujet, Elizabeth mentionne que «beaucoup de gens ne comprennent pas que ces publications sont sexistes et qu’elles ne sont pas drôles.» Elle affirme que plusieurs étudiantes en administration se sentent impuissantes et trouvent que ces memes sont réducteurs.

«Ce qui est inquiétant, c’est que l’université est associée à ça. Leur nom, leur image est associé à cela»

– Geneviève Hardy, protectrice universitaire de l’UQTR

Sinon, il y a un an environ, Valérie Deschamps avait commenté une publication de Spotted l’UQTR pour mentionner à l’administrateur qu’il avait volé un meme à une autre page et qu’il n’avait pas crédité le créateur. L’administrateur aurait ensuite rétorqué que «90% des memes de la page sont volés criss de truche». Elle s’est donc mise à explorer les publications et à les commenter, jugeant que celles-ci étaient inacceptables et sexistes. À son tour, l’administrateur de la page l’aurait bloquée; Valérie ne pouvait plus commenter ni partager ses publications. Ayant entendu que l’université ne pouvait pas poser d’actions légales envers la page, elle n’a pas fait d’autres démarches. Toutefois, elle a communiqué avec des personnes qui connaitraient le gestionnaire de la page; celles-ci s’entendaient pour dire que le contenu de la page était aberrant et que l’administrateur ne semblait pas comprendre la problématique.

Le gestionnaire de la page s’exprime

Selon les dires de l’administrateur de la page Spotted l’UQTR, ce dernier semble apparemment être bien conscient des enjeux liés à la culture du viol et au slut-shaming. Après avoir mentionné qu’il trouvait cela «[toujours] drôle de voir les pseudo-journalistes utiliser le terme « PLUSIEURS personnes » quand évidemment ce n’est qu’une seule personne qui cherche à avoir son 15 minutes de gloire [en dénonçant la page]», il explique qu’il «caricaturise (sic) depuis longtemps plusieurs sujets tabous (abus d’alcool, stéréotypes étudiants, relations non protégées, etc.) pour faire parler et réagir.»


D’après les propos du gestionnaire, les publications humoristiques de sa page se voudraient être dénonciatrices.

Il mentionne qu’il «[préfère] de loin que les personnes parlent de ces sujets ici ouvertement avec une touche d’humour plutôt que de les refouler. Par exemple, lorsque nous publions un montage avec « coucher avec une coco/cocotte saoule ce soir » pour reprendre un terme populaire qui n’a aucune connotation péjorative, nous voulons emmener les étudiants à réfléchir sur le consentement, sur les effets de la surconsommation d’alcool et sur l’importance de se protéger. Nous ne le publions pas de cette façon, car ce ne serait pas vu d’une façon aussi « cool » par les étudiant(e)s et ces publications toucheront (sic) moins l’auditoire. N’importe quelle personne, hommes et femmes confondus, sont (sic) à l’affût de cette situation et nous avons souvent des retours positifs face à nos dénonciations discrètes, mais efficaces.» Ainsi, d’après les propos du gestionnaire, les publications humoristiques de sa page se voudraient être dénonciatrices et permettraient à ses abonné.e.s de prendre connaissance des divers enjeux sociétaux qui les concernent de près ou de loin.

Quelques notions élémentaires

Selon la Charte des droits et libertés de la personne, «[toute] personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.»

Toutefois, selon Me Alexandre Dufresne, avocat spécialisé en litige en droit civil, commercial et criminel, «[les] articles 6 et 7 du Code civil du Québec exigent que toute personne fasse preuve de bonne foi dans l’exercice de ses droits civils. Cette obligation constitue une limite au droit à la liberté d’expression conféré par la Charte des droits et libertés de la personne[…] Par exemple, la liberté d’expression ne devrait pas permettre de couvrir des propos visant à blesser ou offenser une autre personne.» Par conséquent, bien que l’humour soit une forme d’expression valide et légale, la liberté d’expression ne peut pas, en principe, justifier des discours humoristiques ou diffamatoires qui tentent d’atteindre autrui.

Autrement, pour ce qui est du Code criminel, l’article 298 explique qu’«[un] libelle diffamatoire consiste en une matière publiée sans justification ni excuse légitime et de nature à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant à la haine, au mépris ou au ridicule, ou destinée à outrager la personne contre qui elle est publiée.»

Bien que l’humour soit une forme d’expression valide et légale, la liberté d’expression ne peut pas, en principe, justifier des discours humoristiques ou diffamatoires qui tentent d’atteindre autrui.

On y mentionne également qu’un libelle peut être exprimé sous diverses formes, soit par insinuation, ironie ou de façon directe, et qu’il est considéré comme publié s’il est exhibé en public, s’il est lu ou vu ou s’il est montré «dans l’intention qu’il soit lu ou vu par toute autre personne que celle qu’il diffame.»

Que dit la recherche?

Dans une recherche publiée en 2018, Drakett et al., soit quatre membres du corps professoral du département de psychologie de l’université Leeds Beckett, expliquent que les cas de sexisme et de harcèlement en ligne sont souvent perçus comme étant acceptables puisqu’ils sont présentés comme étant humoristiques. Drakett et al. mentionnent également que l’acte de création et de consommation de memes peut être un acte politique en lui-même. Les résultats de cette recherche soulignent que les memes peuvent permettre à de nombreux individus de s’exprimer et peuvent provoquer d’importantes discussions sociales. En somme, cette recherche de Drakett et al. met de l’avant l’impact que les memes peuvent avoir sur les gens qui les consomment.

Lire aussi : On jase, là! : Spotted, «Spotted l’UQTR»

Les Super Fans se prononcent

Stephanie Rousseau, étudiante à l’UQTR, est reconnue comme étant une Super Fan de Spotted l’UQTR; cela signifie qu’elle est l’une des abonné.e.s qui interagit le plus avec la page, soit en commentant, en aimant ou en partageant les publications. «Personnellement je trouve que la page est très drôle et c’est probablement une des raisons pour lesquelles je ressens un aussi grand sentiment d’appartenance à l’UQTR. La communauté autour des memes de la page est très grande et personne ne prend les memes au sérieux. Les personnes visées, autant les filles d’admin que les gars de l’itr, sont les premiers à se tagguer dans les memes puisque la page crée du contenu auquel les gens [peuvent] vraiment relate

Une autre Super Fan, qui a préféré conserver l’anonymat, a mentionné ceci : «Ces temps-ci je trouve que ça va trop loin et c’est effectivement plus sexiste et dégradant qu’avant. Je passe par-dessus parce que je sais bien qu’aller contester dans les commentaires ou signaler une publication ne sert à rien et je vais me faire ramasser. Ça devient surtout de mauvais goût et tous les posts tournent autour des mêmes sujets sans cesse.» Sinon, un abonné de la page nous a mentionné qu’«[il] adore la page et ils font des blagues et memes sur des gars en génie et récréo faut pas tout prendre au 1er degré c’est de l’humour (sic).»

Ce qui se passe dans le groupe privé

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Une publication de l’administrateur publié sur le groupe privé où il demanderait à ses abonné.e.s s’il doit bannir l’une de ses membres en raison de son lien de parenté avec Rosalie Riopel. Photo : Gracieuseté

Comme mentionné plus haut, la page Spotted l’UQTR a créé un groupe privé pour ses abonné.e.s. Seulement un nombre restreint des personnes abonnées à leur page, soit un peu plus de 2400 individus, fait partie de ce groupe clos. Des memes inédits et des publications exclusives y sont partagés et les membres du groupe peuvent également partager leurs créations. Cependant, certaines publications de l’administrateur semblent viser certains individus.

Une publication de l’administrateur sur le groupe privé. Il semble y inciter ses abonné.e.s  à réagir à la publication de Radio-Canada. Photo : Gracieuseté

Selon l’une de leur Super Fans, les propos de l’administrateur et de ses abonné.e.s seraient souvent très crus, voire même «trash». Notamment, la semaine dernière, après que Radio-Canada ait publié un article sur la nouvelle politique de l’UQTR en matière de violence à caractère sexuel, politique qui vise à assurer que tous.tes se sentent en sécurité entre les murs de l’établissement, l’administrateur a publié un statut dans l’optique d’inciter ses abonné.e.s à aller rire des commentaires sous la publication.


L’administrateur ferait référence à l’une des sœurs Riopel de façon très peu élogieuse. Photo : Gracieuseté

L’un de ces commentaires était celui d’Elizabeth Leblanc-Michaud. Elle mentionne que «c’est aberrant de voir des gens se moquer ainsi de la politique de l’UQTR. C’est une politique supra importante. Ce n’est pas une joke, c’est sérieux.» Plus de cinquante personnes auraient réagi au commentaire d’Elizabeth; elle mentionne qu’elle ne se sentait plus en sécurité de se présenter à l’université le lendemain, sachant qu’elle pourrait croiser l’une de ces personnes.

Le cas d’Elizabeth ne serait pas unique; d’autres individus auraient été ciblés personnellement par les publications des membres du groupe privé. Notamment, suite à la publication de Radio-Canada sur les démarches de Rosalie Riopel et d’Elizabeth Leblanc-Michaud, l’administrateur de la page aurait questionné ses abonné.e.s afin de savoir s’il devrait enlever le titre de Super Fan à une abonnée en particulier qui serait la sœur de Rosalie Riopel.

Les commentaires auraient rapidement afflué tandis que l’administrateur et les membres du groupe privé auraient émis des commentaires peu élogieux à l’égard des deux sœurs. Il y aurait toutefois un modérateur dans le groupe qui a pour mandat de s’assurer qu’il n’y ait pas de débordements et que le contenu demeure adéquat pour tous.tes. Chose certaine, la communauté de la page Spotted l’UQTR continue de croître de semaine en semaine; reste à voir si l’Université décidera de prendre action pour se dissocier de cette dernière ou non.

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