Éditorial : Le Front commun, beaucoup plus qu’une lutte de conditions, mais une lutte féministe

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Des enseignantes et les personnels de soutient de l’école spécialisée Espace-Jeunesse à Saint-Charles-Borromée sont sorties dehors sur le bord de la rue afin d’agiter leur pancarte et faire réagir les automobilistes passants. Crédit photo : Folktographe – Guillaume Morin

Le 6 novembre dernier, le Front commun, l’alliance de quatre grands groupes de syndicats, partait en grève. On parle de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) et l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS). Cette grève, auparavant une menace, a finalement été maintenue après la présentation de Sonia Lebel, présidente du Conseil du trésor du gouvernement du Québec, de la quatrième offre du gouvernement le 29 octobre dernier. Le 30 octobre, le Front commun publie une info-négo afin de véhiculer son désappointement : « insultant, offensant, méprisant ; les mots nous manquent pour qualifier adéquatement le dépôt que nous avons reçu ce dimanche. » Ce regroupement de syndicats représente 78% de femme. Ce sont des enseignantes, des infirmières, des intervenantes, des psychologues, des psychoéducatrices, des préposées, des préposées aux élèves handicapés, des techniciennes, des surveillantes du midi, des secrétaires d’école, des orthopédagogues, des orthophonistes et bien plus encore. Depuis plus d’une décennie que ces corps de métiers, principalement occupés par des femmes, se battent pour que leurs métiers soient reconnues, mais l’argument de la vocation, trop souvent cité, n’a jamais existé. Ce combat n’est pas pour un meilleur salaire, mais bien pour faire comprendre qu’elles méritent de se faire reconnaitre autant que les hommes.

Tout ce que ma génération a connu

En 2013, j’avais douze ans et j’entamais mes études au secondaire. C’est le plus loin que j’ai pu remonter dans ma mémoire pour voir des fragments d’images de mes enseignantes avec des chandails de négociations et mettant en ouvre d’autres moyens de pression. Pouvez-vous figurer que je n’ai jamais fréquenté un établissement scolaire où les personnes qui s’y trouvaient semblaient satisfaites de ses conditions de travail, et pourtant, jamais aucune d’entre elles ne me l’ont fait ressentir, et croyez-moi, j’ai testé certaines de leurs limites.

Ces femmes, et oui, bien entendu, ces hommes – ne pensez surtout pas qu’ils ne méritent pas eux aussi d’être reconnus, bien au contraire. Seulement, on doit être honnête, lorsque les travailleurs de la construction en 2017 ont fait la grève, cela n’a pas pris plus de dix années pour être réglé, même chose pour les travailleurs au Port de Montréal. Le gouvernement devrait montrer l’exemple, étant le plus grand employeur, surtout dans une question ou les métiers typiquement féminins semblent moins valorisés que les métiers typiquement masculins.

Le mauvais genre

Encore une fois, je ne pense pas que le problème soit qu’il existe des métiers dits plus féminins. Le problème, c’est qu’un des deux est sous-valorisé. Et ce, avant même d’être salarié. Mes consœurs qui travaillent dans le domaine de l’éducation ou de la santé n’ont jamais eu de stage rémunérés.

« Non, mais les étudiantes en enseignement reçoivent une compensation lors de leur dernier stage. » Oui, une compensation, pas un salaire. On parle d’à peine 1000$ pour neuf mois de travail, parce que oui, elles font les mêmes tâches qu’une enseignante. Vous trouvez ça juste ?

Un autre exemple : des amies à moi font leur doctorat en psychologie, et font leur stage clinique. Celles-ci ne reçoivent pas de salaire, et en plus, elles doivent se déplacer parfois à près d’une heure de chez elle. Elles n’ont pas décidé de faire autant de trajets et encore moins de débourser pour pouvoir faire leur stage.

Dernier exemple, une amie d’enfance à moi qui travaille comme infirmière s’est blessée durant son stage. Elle avait de la difficulté à se déplacer. Elle ne pouvait donc plus travailler dans son emploi (comme infirmière auxiliaire) et en plus, étant donné qu’elle ne recevait pas de salaire lors de son stage, elle ne put recevoir aucune indemnisation ou compensation pour son arrêt de travail. Cette blessure, occasionnée par un patient, a retardé son parcours universitaire, car elle n’a pu compléter son stage.

Des travailleuses du Centre hospitalier de Lanaudière brandissant des pancartes et en faisant du bruit afin de se faire entendre. Crédit photo : Folktographe – Guillaume Morin

Elles ont le choix

À l’opposé, un ami à moi qui œuvre dans le domaine forestier s’est coupée une petite partie du pouce pendant son stage rémunéré. Il a reçu des chèques de la CNESST tout le long de sa convalescence. La logique semble avoir des préférences de genre.

J’ai trop souvent entendu : « elles n’ont qu’à aller dans un domaine payant, elles un choix. » Oui, c’est vrai, elles font le choix d’y aller sachant très bien que leur parcours collégial ou universitaire n’allait pas être payant. Je souligne alors la volonté honorable dont elles ont fait preuve. L’affaire, c’est qu’elles aussi, ont le droit de choisir une profession qu’elles ont envie de pratiquer. Cela devrait aller de soi.

Prise d’otage

Vous avez ou vous allez très certainement entendre sous peu des personnes clamer que le Front commun prend en otage la population. Cela relève de l’émotivité, c’est vrai qu’il peut être frustrant pour un parent de devoir quitter le travail pour aller chercher son enfant. Par contre, comme j’affirme depuis le début de ce texte, il s’agit beaucoup plus qu’une lutte pour un meilleur salaire. D’ailleurs, elles s’en foutent du salaire, elles veulent des meilleures conditions, et pour cela, il faut que leur travail soit davantage valorisé.

Oui, peut-être, dans une logique simpliste, on peut percevoir que la grève prend en otage la population, mais c’est justement dans les énormes bris de services qu’on se rend compte que les femmes soutiennent à bout de bras un système d’éducation et un système de santé qui s’effritent et qui comportent d’énormes angles morts. Je le répète et répèterai, cela fait plus de dix ans qu’elles le font.

Si le fait que ces femmes arrêtent de travailler le temps d’un instant vous impacte autant dans votre vie quotidienne, ne pensez-vous pas qu’elles sont un pilier important de la société québécoise ? Ne considérez-vous pas qu’elles méritent d’être reconnues à leur juste valeur avec des conditions décentes ?

Des travailleurs et des travailleuses du Centre Hospitalier de Lanaudière en grève le 6 novembre dernier. Crédit photo : Folktographe – Guillaume Morin

Sources :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2020824/secteur-public-nouvelle-offre-lebel-dimanche-primes

https://www.lapresse.ca/actualites/2023-11-06/negos-du-secteur-public/le-front-commun-de-nouveau-en-greve-du-21-au-23-novembre.php

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1075144/conflits-travail-2017-greve-construction-lois-speciales

https://www.journaldequebec.com/2023/10/29/en-direct–le-front-commun-reagit-a-loffre-du-conseil-du-tresor

https://www.rcinet.ca/fr/2017/05/24/le-quebec-paralyse-par-une-greve-generale-illimitee-des-travailleurs-de-la-construction/

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